Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
RACINE.

incarne non seulement la plus forte des puissances qui mènent les hommes, la religion, mais Dieu même. C’est à Dieu qu’il doit son énergie, sa volonté, son intelligence, sa fermeté de vues, son courage. Il élève ces vertus humaines à un degré surhumain, à la hauteur de Dieu. Il est le type du prêtre politique ; il veut le pouvoir pour l’exercer au nom de Dieu ; il est la théocratie, telle que l’ont réalisée ou rêvée toutes les religions puissantes. Il engage un duel à mort avec ce que l’on appellerait aujourd’hui le pouvoir civil. Il y porte l’âpreté juive et la grandeur biblique. Il prophétise avec une colère tonnante ; il maudit le schisme en la personne de Mathan, le mauvais prêtre ; il l’écrasera sans pitié, dès qu’il aura pour instrument un roi choisi de sa main.

Les confidents sont les personnages presque toujours sacrifiés et le plus souvent ridicules de la tragédie classique. Ils ne sont là que pour donner la réplique et éviter le monologue. Sans intérêt personnel dans l’action, domestiques ou « menins », ils n’ont d’autre attitude que le respect et la soumission, d’autre rôle que d’écouter et, parfois, de conseiller. L’art de Racine et son souci de la vérité sont parvenus quelquefois à leur prêter un caractère. Pylade est une noble figure d’ami. Il s’efface par affection, mais on sent que, le jour où il devrait agir pour lui-même, il serait à la hauteur d’un grand rôle. Dans Narcisse, Racine a peint avec une vérité effrayante le scélérat de cour, le lago tragique. Il a éclairé d’une lumière hardie les replis de cette âme tortueuse. Moitié observation, moitié divination, il a étalé sur la scène tout