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RACINE.

quelque faiblesse dans les chœurs d’Esther et d’Athalie. La grandeur et l’énergie bibliques n’y passent pas tout entières. Ils ont été faits pour être chantés, et, trop souvent, ce sont des vers d’opéra. L’élan qu’exige le lyrisme s’accordait mal avec la réserve de Racine et sa parfaite possession de lui-même.

Racine est donc lyrique de façon exceptionnelle, tandis que, dramatique, il l’est toujours. Chez lui, tout prend la forme théâtrale. Il n’a pas une image qui ne serve à la vérité d’une scène ; il n’exprime pas un sentiment qui ne soit nécessaire au développement d’un caractère. Chez ce poète tantôt idyllique et tantôt élégiaque, tantôt historien et tantôt psychologue, tout se ramène au don essentiel, le génie dramatique. Sainte-Beuve écrivait en 1830 :

Racine fut dramatique, sans doute, mais il le fut dans un genre qui l’était peu. En d’autres temps, en des temps comme les nôtres, où les proportions du drame doivent être si différentes de ce qu’elles étaient alors, qu’aurait-il fait ? Eût-il également tenté le théâtre ? Son génie, naturellement recueilli et paisible, eût-il suffi à cette intensité d’action que réclame notre curiosité blasée, à cette vérité réelle dans les mœurs et dans les caractères qui devient indispensable après une époque de grande révolution, à cette philosophie supérieure qui donne à tout cela un sens, et fait de l’action autre chose qu’un imbroglio, de la couleur historique autre chose qu’un badigeonnage ?

Le grand critique n’a jamais été tout à fait juste pour Racine. Même dans Port-Royal, où il lui fait réparation de son premier jugement, il ne lui accorde pas assez. En 1830, il mettait sa critique au service de Victor Hugo. Son article précédait de quelques jours la première représentation d’Hernani et avait