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CARRIÈRE THÉÂTRALE.

Racine voulait surtout gagner le suffrage, ses anciens maîtres, fussent avertis. Quant à ceux qui allaient reprendre avec succès contre Phèdre le moyen essayé déjà contre Iphigénie, la partie morale de la nouvelle pièce était leur moindre souci.

Sous ses diverses formes, articles du seul journal littéraire qu’il y eut alors, le Mercure, ou dissertations spéciales, la critique se montrait très sévère pour Phèdre. Donneau de Visé en louait les vers, mais, pour le sujet, il estimait qu’on aurait bien fait a d’en épargner l’horreur aux spectateurs français ». Subligny condamnait de même le sujet, s’acharnait contre les caractères, se répandait sur le style en lourdes facéties et pédantes chicanes. Pradon ne se contentait pas de rivaliser en vers avec Racine ; il l’attaquait en prose et s’écriait : « Voilà une grande fortune pour notre siècle de voir courir une femme après le fils de son mari ! » C’est pourtant le même sujet qu’il traitait de son côté.

Ce fatras d’envie et de haine a été résumé et jugé par Boileau, dans quelques vers de la plus belle pièce qu’il ait écrite. Il est probable que les ennemis de Racine n’auraient pas obtenu pour Phèdre plus de résultats de leurs efforts que pour les tragédies antérieures, sans la cabale puissante que forma la duchesse de Bouillon. La duchesse était une Mancini. Elle avait l’esprit et l’orgueil de sa famille. Elle était instruite, aimait les vers, en faisait volontiers et recevait une société brillante où se mêlaient grands seigneurs et poètes, comme jadis à l’Hôtel de Rambouillet. La Fontaine, qui allait partout où il se trouvait bien, en était ; Molière y avait