sait-on ? peut-être sommes-nous destinés à réparer les maux que nous vous avons faits ! Vous seriez donc bien étonnés si un jour lord Wellington venait à reconduire Napoléon dans Paris ? – Ah ! oui, disais-je, je serais fort étonné ; et d’abord je n’aurais pas l’honneur d’être de la partie : à ce prix, j’abandonnerais même Napoléon ! Mais je puis être tranquille, je vous jure que Napoléon ne se soumettra pas à cette épreuve ; c’est de lui que je tiens ces sentiments ; c’est lui qui m’a guéri de la doctrine contraire, qui fut ce que j’appelle l’erreur de mon enfance. »
Les Anglais se montraient aussi très avides de nous questionner sur l’Empereur, dont le caractère et les dispositions leur avaient été peints, à ce qu’ils avouaient maintenant, de la manière la plus fausse. Ce n’était pas leur faute, observaient-ils, ils ne le connaissaient que par les ouvrages publiés par eux, tous très exagérés contre lui : ils en avaient plusieurs à bord. Un jour, comme je voulais regarder ce que lisait un des officiers, il ferma son livre avec embarras, me disant qu’il était si fort contre l’Empereur, qu’il se ferait conscience de me le laisser voir. Une autre fois l’amiral me questionna longuement sur certaines imputations consignées dans divers ouvrages de sa bibliothèque, dont quelques-uns, me disait-il, jouissaient d’une certaine considération, et dont tous, convenait-il, avaient produit un grand effet en Angleterre contre le caractère de Napoléon. Ces circonstances me donnèrent l’idée de passer en revue successivement tous les ouvrages de ce genre qui se trouvaient à bord, et d’en consigner mon opinion dans mon Journal, ne devant jamais se rencontrer de situation aussi favorable que la mienne pour obtenir au besoin quelque éclaircissement sur les points qui pouvaient en valoir la peine.
Mais, avant d’entamer aucun de ces extraits, il faut qu’on me passe quelques considérations générales : elles suffiront pour répondre d’avance à la plus grande partie des inculpations sans nombre que je rencontrerai.
La calomnie et le mensonge sont les armes de l’ennemi civil ou politique, étranger ou domestique ; c’est la ressource du vaincu, du faible, de celui qui hait ou qui craint ; c’est l’aliment des salons, la pâture de la place publique. Ils s’acharnent d’autant plus que l’objet est plus grand : il n’est rien alors qu’ils ne hasardent et ne propagent. Plus ces calomnies, ces mensonges sont absurdes, ridicules, incroyables, plus ils sont recueillis, répétés de bouche en bouche.
Or, jamais on n’en fut autant assailli ni plus défiguré que Napoléon ;