Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/223

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clavage. » Et s’arrêtant tout à coup, il me dit : « Mais je lis dans vos yeux : vous pensez qu’il n’est pas le seul exemple de la sorte à Sainte-Hélène ! » Et soit qu’il fût heurté de se voir en parallèle avec Tobie, soit qu’il crût que mon courage eût besoin d’être relevé, soit enfin toute autre chose, il poursuivit avec feu et majesté : « Mon cher, il ne saurait y avoir ici le moindre rapport ; si l’attentat est plus relevé, les victimes aussi offrent bien d’autres ressources. On ne nous a point soumis à des souffrances corporelles, et, l’eût-on tenté, nous avons une âme à tromper nos tyrans !… Notre situation peut même avoir des attraits ! L’univers nous contemple !… Nous demeurons les martyrs d’une cause immortelle ! Des millions d’hommes nous pleurent, la patrie soupire, et la gloire est en deuil !… Nous luttons ici contre l’oppression des dieux, et les vœux des nations sont pour nous !… » Et après une pause de quelques secondes, il reprit : « Mes véritables souffrances ne sont point ici !… Si je ne considérais que moi, peut-être aurais-je à me réjouir !… Les malheurs ont aussi leur héroïsme et leur gloire… L’adversité manquait à ma carrière !… Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de ma toute-puissance, je serais demeuré un problème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au malheur, on pourra me juger à nu ! »


Origine des guides – Autre danger de Napoléon – Un gros officier allemand – Un chien.


Vendredi 1er décembre au dimanche 3.

Un grand nombre d’objets remplissent ces journées ; j’en élague une partie comme inutile, et j’en tais une autre par convenance ; je ne retranscris ici que quelques traits nouveaux, relatifs au général en chef de l’armée d’Italie.

Napoléon après le passage du Mincio, toutes les mesures ordonnées, et l’ennemi poursuivi dans toutes les directions, s’arrêta dans un château sur la rive gauche. Il souffrait de la tête, et prit un bain de pieds. Un gros détachement ennemi, égaré et perdu, arrive, en remontant le fleuve, jusqu’à ce château. Napoléon y était presque seul ; la sentinelle en faction à la porte n’a que le temps de la pousser, en criant aux armes, et le général de l’armée d’Italie, au sein de sa victoire, est réduit à s’évader par les derrières du jardin avec une seule botte, l’autre jambe nue. S’il eût été pris avant que sa réputation ne l’eût consacré, les actes de génie par les-