Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a fait pleurer toute ma garde ; remerciez-le, il doit vous être bien cher. »

Moins heureux à l’ouverture de la campagne de Saxe, la veille même de la bataille de Lutzen, dans une circonstance assez insignifiante, s’étant porté en avant au milieu des tirailleurs, il y fut frappé dans la poitrine d’un boulet qui le renversa mort. Il avait vécu comme Bayard, il mourut comme Turenne.

J’avais conversé avec lui bien peu de temps avant ce funeste évènement. Le hasard nous avait réunis tête à tête en loge particulière au théâtre, où, après avoir causé des affaires qui l’affectaient fort, car il idolâtrait la patrie, son dernier mot, en me quittant, fut qu’il partait pour l’armée dans la nuit, et qu’il désirait que nous pussions nous revoir. « Car, ajoutait-il, dans la crise des circonstances, et avec nos jeunes soldats, c’est à nous autres chefs à ne pas nous épargner. » Hélas ! il ne devait plus revenir.

Bessières aimait sincèrement l’Empereur, et lui portait une espèce de culte ; il n’eût certainement pas, plus que Duroc, abandonné ni sa personne ni ses destinées. Et il semble que le sort, si décidément prononcé contre Napoléon dans ses derniers moments, en lui enlevant deux amis aussi vrais, se soit plu à lui ôter la plus douce jouissance, et à priver deux de ses plus fidèles serviteurs de leur plus beau titre de gloire, celui de la reconnaissance envers le malheur.

L’Empereur avait fait transporter aux Invalides, à Paris, les restes de