Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/402

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de si clairs intérêts ; je me suis trompé : ils n’ont tenu compte de rien ; et, dans leur aveugle passion, ils ont déchaîné contre moi ce que j’avais retenu contre eux. Ils verront !!!

Enfin les souverains se trouvaient-ils offusqués de voir un simple soldat parvenir à une couronne ? Redoutaient-ils l’exemple ? Mais les solennités, mais les circonstances qui ont accompagné mon élévation, mon empressement à m’associer à leurs mœurs, à m’identifier à leur existence, à m’allier à leur sang et à leur politique, fermaient assez la porte aux nouveaux concurrents. Bien plus, si l’on eût dû avoir le spectacle d’une légitimité interrompue, je maintiens qu’il leur était bien plus avantageux que ce fût par moi, sorti des rangs, que par un prince membre de leur famille ; car des milliers de siècles s’écouleront avant que les circonstances accumulées sur ma tête aillent en puiser un autre dans la foule pour reproduire le même spectacle ; tandis qu’il n’est pas de souverain qui n’ait à quelques pas de lui, dans son palais, des cousins, des neveux, des frères, quelques parents propres à imiter facilement celui qui une fois les aurait remplacés.

D’une autre part, de quoi pouvaient s’effrayer les peuples ? Que je vinsse les ravager, leur imposer des chaînes ? Mais je revenais le Messie de la paix et de leurs droits ; cette doctrine nouvelle faisait ma force ; la violer, c’était me perdre. Cependant les Français mêmes m’ont redouté ; ils ont eu l’insanité de discuter quand il n’y avait qu’à combattre, de se diviser quand il fallait à tout prix se réunir. Et ne valait-il pas mieux encore courir les dangers de m’avoir pour maître que de s’exposer à subir le joug de l’étranger ? N’était-il pas plus aisé de se défaire d’un despote, d’un tyran, que de secouer les chaînes de toutes les nations réunies ? Et puis d’où leur venait cette défiance sur ma personne ? parce qu’ils m’avaient déjà vu concentrer en moi tous les efforts et les diriger d’une main vigoureuse. Mais n’apprennent-ils pas aujourd’hui à leurs dépens combien c’était nécessaire ? Eh bien ! le péril fut toujours le même, la lutte terrible et la crise imminente. Dans cet état de choses, la dictature n’était-elle pas nécessaire, indispensable ? Le salut de la patrie me commandait même de la déclarer ouvertement au retour de Leipsick. J’eusse dû le faire encore au retour de l’île d’Elbe. Je manquai de caractère, ou plutôt de confiance dans les Français, parce que plusieurs n’en avaient plus en moi, et c’était me faire grande injure. Si les esprits étroits et vulgaires, ne voyaient dans tous mes efforts que le soin de ma puissance, les esprits larges n’auraient-ils pas dû démontrer que, dans les