Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/420

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tendre. Il ne comprenait rien à l’invasion des Helvétiens, au chemin qu’ils prenaient, au but qu’on leur donnait, au temps qu’ils étaient à passer la Saône, à la diligence de César, qui avait le temps d’aller en Italie chercher des légions aussi loin qu’Aquilée, et qui retrouvait les envahisseurs encore à leur passage de la Saône, etc… Qu’il n’était pas plus facile de comprendre la manière d’établir des quartiers d’hiver qui s’étendaient de Trêves à Vannes. Et comme nous nous récriions aussi sur les travaux immenses que les généraux obtenaient de leurs soldats, les fossés, les murailles, les grosses tours, les galeries, etc., l’Empereur répondait qu’alors tous les efforts s’employaient en confection et sur les lieux mêmes, au lieu que de nos jours ils consistaient dans le transport. Il croyait d’ailleurs que leurs soldats travaillaient, en effet, plus que les nôtres. Il a le projet de dicter quelque chose là-dessus.

« Au surplus, continuait-il, l’histoire ancienne est longue, et le système de guerre a changé souvent. Il en est toujours ainsi. De nos jours, il n’est déjà plus celui du temps de Turenne et de Vauban. Aujourd’hui les travaux de campagne devenaient inutiles ; le système même de nos places était désormais problématique ou sans effet ; l’énorme quantité de bombes et d’obus changeait tout. Ce n’était plus contre l’horizontale qu’on avait à se défendre, mais contre la courbe et la développée. Aucune des places anciennes n’était désormais à l’abri : elles cessaient d’être tenables ; aucun pays n’était assez riche pour les entretenir. Le revenu de la France ne pouvait suffire à ses lignes de la Flandre ; car les fortifications extérieures n’étaient guère aujourd’hui que le quart ou le cinquième de la dépense nécessaire ; les casemates, les magasins, les établissements à l’abri de la bombe, voilà désormais ce qui était indispensable et ce à quoi on ne pourrait suffire. » L’Empereur se plaignait surtout de la faiblesse de la maçonnerie actuelle ; le génie avait un vice radical sur cet objet, il lui avait coûté des sommes immenses en pure perte.

L’Empereur, frappé de ces vérités nouvelles, avait imaginé un système tout à fait au rebours des axiomes établis jusqu’ici : c’était d’avoir un calibre de gros échantillon, poussé en dehors de la ligne magistrale vers l’ennemi, et d’avoir cette ligne magistrale elle-même, au contraire, défendue par une grande quantité de petite artillerie mobile ; par là, l’ennemi était arrêté court dans son approche subite : il n’avait que des pièces faibles pour attaquer des pièces fortes ; il était dominé par ce gros échantillon, autour duquel les ressources de la place, les petites pièces, venaient se grouper, ou même se portaient au loin en tirailleurs, et pou-