Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/480

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L’Empereur, avant dîner, m’a fait appeler dans son cabinet pour faire quelques thèmes anglais ; il venait, me disait-il, de faire son compte de toilette ; elle lui coûtait quatre napoléons par mois. Nous avons beaucoup ri de l’immensité du budget. Il m’a parlé de faire venir ses vêtements, ses souliers, ses bottes, de ses ouvriers ordinaires qui avaient ses mesures. J’y trouvais de graves inconvénients ; mais ce qui devait nous mettre d’accord, lui disais-je, c’est que bien certainement on ne le permettrait pas.

« Il est dur, pourtant, disait-il, de me trouver sans argent, et je veux régulariser quelque chose à cet égard. Aussi, dès que le bill qui doit fixer notre situation ici nous sera notifié, je m’arrangerai pour avoir un crédit annuel de sept à huit mille napoléons sur Eugène. Il ne saurait s’y refuser, il tient de moi plus de quarante millions peut-être ; et puis ce serait faire injure à ses sentiments personnels que d’en douter. D’ailleurs nous avons de grands comptes à régler ensemble ; je suis sûr que si j’avais chargé une commission de mes conseillers d’État d’un rapport à ce sujet, elle m’eût présenté sur lui une reprise de dix à douze millions au moins. »

À dîner, l’Empereur nous a questionnés sur ce qui était nécessaire, disait-il, pour un garçon, dans une capitale de l’Europe, ou pour un ménage raisonnable, ou enfin pour un ménage de luxe.

Il aime ces questions et ces calculs, et les traite avec une grande sagacité et des détails toujours curieux.

Chacun de nous a présenté ses budgets, et l’on s’est accordé, pour Paris, à quinze mille, quarante mille et cent mille francs. L’Empereur s’est arrêté sur l’extrême différence qu’il y avait entre le prix des choses et celui des mêmes choses, suivant les personnes et les circonstances.

« En quittant l’armée d’Italie, a-t-il dit, pour venir à Paris, madame Bonaparte avait écrit qu’on meublât, avec tout ce qu’il y avait de mieux, une petite maison que nous avions rue de la Victoire. Cette maison ne valait pas plus de quarante mille francs. Quelle fut ma surprise, mon indignation et ma mauvaise humeur, quand on me présenta le compte des meubles du salon, qui ne me semblaient rien de très extraordinaire, et qui montaient pourtant à la somme énorme de cent vingt à cent trente mille francs. J’eus beau me défendre, crier, il fallut payer. L’entrepreneur montrait la lettre qui demandait tout ce qu’il y avait de mieux : or, tout ce qui était a était de nouveaux modèles faits exprès ; il n’y avait pas de juge de paix qui ne m’eût condamné. »

De là l’Empereur est passé aux prix fous demandés pour les ameu-