Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/524

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L’ennemi avait perdu aussi sans doute, mais il avait eu l’avantage ; il avait acquis le sentiment de sa supériorité, il avait pu compter à son aise le petit nombre des Français ; aussi ne doutait-il déjà plus de la délivrance de Mantoue ni de la conquête de l’Italie. Il avait fait ramasser une grande quantité d’échelles, et en faisait faire beaucoup d’autres, voulant enlever Vérone d’assaut. À Mantoue, la garnison s’était réveillée ; elle faisait de fréquentes sorties, qui harcelaient sans cesse les assiégeants ; et les troupes se trouvaient trop faibles pour contenir une si forte garnison. Tous les jours on était instruit que quelque nouveau secours arrivait à l’ennemi : nous ne pouvions en espérer aucun ! Enfin les agents de l’Autriche, ceux de Venise et du pape, faisaient sonner très haut les avantages obtenus par Alvinzi, et sa supériorité sur nous. Nous n’étions plus en position de prendre l’offensive nulle part : d’un côté, la position de Caldiero, que nous n’avions pu enlever ; de l’autre, les gorges du Tyrol, qui venaient d’être le théâtre de la défaite de Vaubois. Mais eussions-nous occupé des positions qui eussent permis d’entreprendre sur Alvinzi, il avait trop de supériorité par le nombre. Tout interdisait pour l’instant toute offensive ; il fallait donc laisser l’initiative à l’ennemi, et attendre froidement ce qu’il voudrait entreprendre. La saison était extrêmement mauvaise, la pluie tombait par torrents, et tous les mouvements se faisaient dans la boue. L’affaire de Caldiero, celle du Tyrol, avaient sensiblement baissé le moral de l’armée. On avait bien encore le sentiment de la supériorité sur l’ennemi à nombre égal, mais on ne croyait pas pouvoir lui résister, dans l’infériorité où l’on se trouvait. Un grand nombre de braves avaient été blessés deux ou trois fois à différentes batailles depuis l’entrée en Italie. La mauvaise humeur s’en mêlait.

« Nous ne pouvons pas seuls, disaient-ils, remplir la tâche de tous : l’armée d’Alvinzi qui se trouve ici est celle devant laquelle les armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse se sont retirées, et elles sont oisives dans ce moment : pourquoi est-ce à nous à remplir leur tâche ? On ne nous envoie aucun secours ; si nous sommes battus, nous regagnerons les Alpes en fuyards et sans honneur. Si au contraire nous sommes vainqueurs, à quoi aboutira cette nouvelle victoire ? on nous opposera une autre armée semblable à celle d’Alvinzi, comme Alvinzi lui-même a succédé à Wurmser ; et, dans cette lutte constamment inégale, il faudra bien que nous finissions par être écrasés. »

Napoléon faisait répondre : « Nous n’avons plus qu’un effort à faire, et l’Italie est à nous. Alvinzi est sans doute plus nombreux que nous ;