Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/583

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peut-être mes expressions et mes vrais sentiments. – Et vous l’aurez cru, pauvre niais ! s’est écrié l’Empereur en riant aux éclats ; n’était-ce pas là plutôt l’admirable finesse de cour, une touche pour La Bruyère, un vrai trait d’esprit, du reste ? car, s’il lui était arrivé pendant mon absence de laisser échapper quelque drôlerie contre moi, vous voyez que par là il remédiait à tout, et une fois pour toutes. – Eh bien, Sire, ai-je continué, ce que je viens de dire peut n’être que plaisant ; mais voici ce qui est plus essentiel :

« Au plus fort de la crise de 1814, avant la prise de Paris, Decrès fut sondé de la manière la plus délicate pour conspirer contre Votre Majesté, et il s’y refusa franchement. Decrès murmurait facilement et souvent ; il avait une certaine autorité d’expressions et de manières ; c’était une acquisition à ne pas dédaigner dans un parti. Il se trouva, à cette époque de douleur, faire visite à un personnage fameux, le héros des machinations du jour. Celui-ci, qui s’était avancé au-devant de Decrès, le ramenant en boitant à sa cheminée, y prit un livre disant : Je lisais tout à heure quelque chose qui me frappait singulièrement, écoutez : Montesquieu, livre tel, chapitre tel, page telle. « Quand le prince s’est élevé au-dessus de toutes les lois, que la tyrannie est devenue insupportable, il ne reste plus aux opprimés… » – C’est assez, s’écria Decrès en lui mettant la main sur la bouche, je n’écoute