Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/600

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Quoi qu’il en soit, Hortense, continuait l’Empereur, Hortense, si bonne, si généreuse, si dévouée, n’est pas sans avoir eu quelques torts avec son mari ; j’en dois convenir, en dehors de toute l’affection que je lui porte et du véritable attachement que je sais qu’elle a pour moi. Quelque bizarre, quelque insupportable que fût Louis, il l’aimait ; et, en pareil cas, avec d’aussi grands intérêts, toute femme doit toujours être maîtresse de se vaincre, avoir l’adresse d’aimer à son tour. Si elle eût su se contraindre, elle se serait épargné le chagrin de ses derniers procès ; elle eût eu une vie plus heureuse ; elle eût suivi son mari en Hollande, et y serait demeurée. Louis n’eût point fui d’Amsterdam ; je ne me serais pas vu contraint de réunir son royaume, ce qui a contribué à me perdre en Europe, et bien des choses se seraient passées différemment.

« La princesse de Bade, a-t-il dit, s’est montrée plus habile. Sitôt qu’elle a vu le divorce de Joséphine, elle a connu sa position, elle s’est rapprochée de son mari ; ils ont formé depuis le mariage le plus heureux.

« Pauline était trop prodigue ; elle avait trop d’abandon, elle devait être immensément riche par tout ce que je lui ai donné ; mais elle donnait tout à son tour, et sa mère la sermonnait souvent à cet égard, lui prédisant qu’elle pourrait mourir à l’hôpital ; mais Madame elle-même était aussi par trop parcimonieuse ; c’en était ridicule ; j’ai été jusqu’à lui offrir des sommes fort considérables par mois si elle voulait les distribuer. Elle voulait bien les recevoir, mais pourvu, disait-elle, qu’elle fût maîtresse de les garder. Dans le fond, tout cela n’était qu’excès de prévoyance de sa part : toute sa peur était de se trouver un jour sans rien. Elle avait connu le besoin, et ces terribles moments ne lui sortaient pas de la pensée. Il est juste de dire d’ailleurs qu’elle donnait beaucoup à ses enfants en secret ; c’est une si bonne mère !…

« Du reste, cette même femme à laquelle on eût si difficilement arraché un écu, disait l’Empereur, eût tout donné pour préparer mon retour de l’île d’Elbe ; et après Waterloo elle m’eût remis entre les mains tout ce qu’elle possédait pour aider à rétablir mes affaires ; elle me l’a offert ; elle se fût condamnée au pain noir sans murmure[1]. C’est que

  1. Que l’Empereur connaissait bien sa mère ! À mon retour en Europe j’ai vu se vérifier à la lettre ce qu’il en dit ici, et j’en ai joui avec délices.
        À peine eus-je fait connaître à Madame Mère la situation de l’Empereur et ma résolution de me consacrer uniquement à y apporter quelque adoucissement, que sa réponse, par le retour du courrier, fut que toute sa fortune était à la disposition de son fils, qu’elle se réduirait à une simple servante s’il le fallait ; m’autorisant, bien que je n’en fusse pas connu personnellement, à tirer, dès l’instant même, telle somme que je croirais nécessaire au bien-être de l’Empereur. Le cardinal Fesch joignait ses offres d’une manière tout aussi touchante ; et c’est ici le cas de faire connaître que tous les membres de la famille de l’Empereur s’empressèrent de témoigner le même zèle, la même tendresse, le même dévouement.