Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/631

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ses hésitations, son insignifiance habituelle, et de savoir prendre hardiment un parti ; de faire triompher la légitime, celui des Bourbons. Moreau répondait à cela, peu de jours avant sa mort, qu’elle le laissât tranquille avec ses chimères. « Me voilà bien rapproché de la France, lui mandait-il, bien à même de prendre de bonnes informations… Eh bien ! on m’a fait donner dans un véritable guêpier. »

L’Empereur fut au moment de faire imprimer ces papiers dans le Moniteur ; mais il existait encore en France quelques personnes aveuglément tenaces sur l’opinion qu’elles avaient toujours conservée de Moreau, s’obstinant à le regarder comme une victime de la tyrannie. La contre-révolution n’avait pas encore permis qu’on vînt se vanter de ses actes désavoués jusque-là, et en réclamer la récompense. La circonstance d’inimitié personnelle arrêta l’Empereur. Il ne trouva pas qu’il fût bien de la réveiller à son avantage, et de flétrir un homme qu’un boulet venait de frapper sur le champ de bataille.

Le grand procès de Moreau et de Pichegru fut fort long et agita grandement l’esprit public. Ce qui vint ajouter encore à l’éclat de cette affaire et à la crise, remarquait Napoléon, fut de se trouver compliquée avec l’affaire du duc d’Enghien, qui vint à la traverse. « Les hommes d’État, disait l’Empereur, m’ont reproché une grande faute dans ce procès, et l’ont comparée à celle de Louis XVI dans l’affaire du collier, qu’il mit entre les mains du Parlement, au lieu de la faire juger par une commission. Selon ces hommes d’État, j’aurais dû me contenter de livrer les coupables à une commission militaire ; c’eût été terminé en deux fois vingt-quatre heures ; je le pouvais, c’était légal, et l’on ne m’en eût pas voulu davantage ; je ne me serais pas exposé aux chances que je courus. Mais je me sentais un pouvoir tellement indéterminé, j’étais en même temps si fort en justice, que je voulus que le monde entier demeurât témoin. Aussi les ambassadeurs, les agents de toutes les puissances assistèrent-ils constamment aux débats ! »

Quelqu’un alors fit observer à l’Empereur que le parti qu’il avait pris se trouvait bien heureux aujourd’hui, et pour l’histoire, et pour son caractère. Il existait par là trois volumes de pièces authentiques du procès.

Un de nous, qui servait alors à l’armée de Boulogne, disait que tous ces évènements, même celui du duc d’Enghien, y avaient paru en règle ; qu’ils y avaient été tous adoptés, et que sa surprise avait été grande, revenant quelques mois après à Paris, d’y trouver l’exaspération qu’ils y avaient créée.