Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/64

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ne vous le refusera pas, disait le bon abbé, si vous le demandez ; et s’il faut payer, aujourd’hui ce doit être peu de chose pour vous. »

Napoléon rit beaucoup de la bonhomie du vieux parent qui était si peu en harmonie avec les mœurs du jour, et qui ne se doutait nullement que les saints ne fussent plus de saison.

Arrivé à Florence, Napoléon crut lui être fort agréable en lui procurant le cordon de l’ordre de Saint-Étienne, dont il n’était que simple chevalier ; mais le pieux abbé était moins touché des faveurs de ce monde que de l’attribution céleste qu’il réclamait ; et elle n’était pas, au demeurant, sans des fondements réels ; le pape, venu à Paris pour couronner l’empereur Napoléon, mit à son tour sur le tapis les titres du père Bonaventure ; c’était lui sans doute, disait-il, qui, du séjour des bienheureux, avait conduit son parent, comme par la main, dans la belle carrière terrestre qu’il venait de parcourir ; c’était ce saint personnage, sans doute, qui l’avait préservé de tout danger dans ses nombreuses batailles, etc., etc. L’Empereur fit constamment la sourde oreille, et laissa à la bienveillance personnelle du pape à faire de lui-même quelque chose pour le bienheureux Bonaventure.

Le vieil abbé, dans la suite, laissa son héritage à Napoléon, qui, étant empereur, en a fait présent à un établissement public de Toscane.

L’Empereur disait, du reste, n'avoir jamais regardé un seul de ses parchemins. Ils sont toujours demeurés dans les mains de son frère Joseph, qu’il appelait gaiement le généalogiste de la famille. Et, dans la crainte de l’oublier, je consignerai ici, à ce sujet, que l’Empereur lui a remis, à l’île d’Aix, au moment de son départ, un volume contenant les lettres autographes que lui ont adressées tous les souverains de l’Europe[1].

Charles Bonaparte, père de Napoléon, était fort grand de taille, beau, bien fait. Son éducation avait été soignée à Rome et à Pise, où il avait étu-

  1. À mon retour en Europe, je n’ai pas manqué de m’informer de cet Important dépôt, et je me suis empressé de suggérer au prince Joseph de le faire recopier, pour assurer davantage son existence. Quel a été mon chagrin d’apprendre que ce monument historique était égaré, qu’on ne savait ce qu’il était devenu ! Dans quelles mains pourrait-il être tombé ? Puissent-elles apprécier une telle collection, et la conserver à l’histoire !
    N.B. Depuis la première publication de mon Mémorial, voici ce que je trouve à ce sujet dans M. O’Méara, édition de Londres, 1822 pag 416 :
    « Le prince Joseph, avant de quitter Rochefort pour l’Amérique, crut prudent de déposer ces papiers précieux entre les mains d’une personne sur l’intégrité de laquelle il avait le droit de compter ; mais il paraît qu’il en a été bassement trahi ; car il y a peu de mois, ces lettres originales ont été apportées à Londres dans l’intention d’en trafiquer pour la somme de 30.000 livres sterling ; ce qui a été immédiatement communiqué aux ministres de Sa Majesté et aux ambassadeurs étrangers. Je tiens de bonne source que l’ambassadeur de Russie a payé 10.000 livres sterling pour racheter les seules lettres de son maître. Parmi divers passages qui m’ont été répétés par ceux qui ont eu la faveur de parcourir les pièces autographes, j’en remarque une du roi de Prusse, écrivant qu’il s’était toujours senti un sentiment paternel pour le Hanovre. En tout il paraît, par ces papiers, que les souverains en général faisaient de vives supplications pour obtenir du territoire. »