Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/701

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dor, le parti vaincu disparut tout à coup, et la majorité du Directoire triompha sans modération. Il devint tout, et réduisit les Conseils à rien.

« Napoléon sentit alors la nécessité de la paix, qui, terminant les affaires actuelles, lui donnerait une nouvelle popularité. Il avait tout à craindre de la continuation de la guerre ; elle pouvait fournir, à ceux qui l’auraient suspecté, des prétextes faciles de lui nuire. On pouvait vouloir l’exposer dans des situations difficiles, et se servir contre lui du concours des autres généraux.

« Deux des plus célèbres d’alors avaient manifesté des dispositions authentiques dans cette grande affaire de fructidor : c’étaient Moreau et Hoche.

« Moreau s’était tout à fait montré contre le Directoire ; et, par une conduite pusillanime et répréhensible, il se perdit tout à la fois sous le rapport du devoir et sous celui du point d’honneur.

« Hoche fut en entier pour le Directoire. Cédant à la fougue de son caractère, il fit marcher sur Paris une partie de son armée, manqua son but par trop d’impétuosité. Ses troupes furent contremandées par la puissance des Conseils ; et lui-même fut obligé de se sauver de Paris, dans la crainte de se voir arrêté par ces mêmes Conseils.

« Hoche n’avait donc rien fait pour le succès de cette journée ; il y avait même nui par trop de zèle. Mais il avait montré un homme tout dévoué ; et la majorité du Directoire pouvait se fier aveuglément à lui, bien que son imprudence eût manqué de le perdre.

« Cette même majorité du Directoire doutait, au contraire, de Napoléon qui l’avait fait triompher ; il lui restait toujours que ce général avait pu calculer que le Directoire succomberait sous les Conseils, et qu’il pourrait s’élever sur ses ruines.

« Cependant comment le Directoire pouvait-il arranger cette pensée avec les actes de ce général, qui avait tout mis dans la balance pour le faire triompher ? car il est évident que, sans l’ordre du jour de Napoléon et l’adresse de son armée, le Directoire était perdu.

« Des personnes bien instruites pensent qu’au vrai Napoléon n’avait pas assez calculé son influence personnelle en France ; qu’il s’en était laissé imposer par les libelles et les journaux dirigés contre lui ; qu’il avait cru les mesures qu’il prenait propres, non à faire triompher tout à fait le Directoire, mais juste ce qu’elles devaient être pour devenir lui-même le sauveur et le vrai soutien de la république. Ces personnes ajoutent qu’au moment où les officiers que Napoléon avait à Paris et