Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/714

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sent pas plus les unes que les autres, elles sont sans différence à leurs yeux, etc., etc. » Malheureusement l’Empereur en décida autrement. Je me suis permis de lui dire que des Espagnols m’avaient assuré que si l’orgueil national avait été épargné, que si la junte espagnole se fût tenue à Madrid au lieu de Bayonne, ou bien encore qu’on eût renvoyé Charles IV et gardé Ferdinand, la révolution eût été populaire, et les affaires auraient pris une autre tournure. L’Empereur n’en doutait pas, et convenait que cette entreprise avait été mal embarquée, que beaucoup de circonstances eussent pu être mieux conduites. « Toutefois, disait-il, Charles IV était usé pour les Espagnols : il eût fallu user de même Ferdinand ; le plan le plus digne de moi, le plus sûr pour mes projets, eût été une espèce de médiation à la manière de celle de la Suisse. J’aurais dû donner une constitution libérale à la nation espagnole, et charger Ferdinand de la mettre en pratique. S’il l’exécutait de bonne foi, l’Espagne prospérait et se mettait en harmonie avec nos mœurs nouvelles ; le grand but était obtenu, la France acquérait une alliée intime, une addition de puissance vraiment redoutable. Si Ferdinand, au contraire, manquait à ses nouveaux engagements, les Espagnols eux-mêmes n’eussent pas manqué de le renvoyer, et seraient venus me solliciter de leur donner un maître. Quoi qu’il en soit, terminait l’Empereur, cette malheureuse guerre d’Espagne a été une véritable plaie, la cause première des malheurs de la France. Après mes conférences d’Erfurt avec Alexandre, disait-il, l’Angleterre devait être contrainte à la paix par la force des armes ou par celle de la raison. Elle se trouvait perdue, déconsidérée sur le continent ; son affaire de Copenhague avait révolté tous les esprits ; et moi je brillais en ce moment de tous les avantages contraires, quand cette malheureuse affaire d’Espagne est venue tourner subitement l’opinion contre moi et réhabiliter l’Angleterre. Elle a pu dès lors continuer la guerre ; les débouchés de l’Amérique méridionale lui ont été ouverts ; elle s’est fait une armée dans la péninsule, et de là elle est devenue l’agent victorieux, le nœud redoutable de toutes les intrigues qui ont pu se former sur le continent, etc., c’est ce qui m’a perdu !

« On m’assaillit alors de reproches que je ne méritais pas : l’histoire me lavera. On m’accusa dans cette affaire de perfidie, d’embûches et de mauvaise foi, et il n’y avait rien de tout cela. Jamais, quoi qu’on en ait dit, je ne manquai de foi ni ne violai de parole, pas plus contre l’Espagne que contre aucune autre puissance.

« On sera certain un jour que dans les grandes affaires d’Espagne je