Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/814

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la tournure d’une véritable lutte à mort. L’irritation de tous les Anglais contre Napoléon était au dernier degré ; ses décrets de Berlin et de Milan, son système continental, des expressions offensantes avaient soulevé tous les esprits au-delà de la Manche, tandis que les ministres, par leurs libelles, leurs impostures et tous les moyens imaginables, avaient achevé d’y mettre en jeu toutes les passions pour nationaliser tout à fait la querelle ; aussi, en plein parlement, avait-on proclamé la guerre perpétuelle, ou du moins viagère. L’Empereur crut devoir façonner ses plans sur cet état de choses, et renonça dès cet instant, autant par calcul que par nécessité, à toutes croisières, toutes opérations lointaines, toutes tentatives chanceuses ; il se détermina pour la stricte défensive, jusqu’à ce que les affaires du continent fussent terminées, et que ses forces maritimes accumulées lui permissent de frapper plus tard à coup sûr. Il retint donc tous ses bâtiments dans ses ports, ne songea plus qu’à multiplier graduellement nos ressources navales, sans les compromettre davantage : tout ne fut plus calculé que pour un résultat éloigné.

Notre marine avait fait de grandes pertes en vaisseaux, la plupart de nos bons matelots étaient prisonniers en Angleterre, et tous nos ports se trouvaient bloqués par les forces anglaises qui en gênaient les communications. L’Empereur ordonna des canaux en Bretagne, à l’aide desquels, en dépit de l’ennemi, on devait communiquer désormais de Bordeaux, Rochefort, Nantes, de la Hollande, Anvers, Cherbourg, avec Brest, et lui procurer les approvisionnements en tous genres dont il pouvait manquer. Il voulut avoir à Flessingue ou dans le voisinage des bassins propres à recevoir, durant l’hiver, la flotte d’Anvers toute armée, et pouvoir la mettre en mer dans les vingt-quatre heures ; car dans l’état présent elle était retenue prisonnière par les glaces dans l’Escaut quatre ou cinq mois de l’année. Enfin il projetait, du côté de Boulogne ou de quelque endroit de cette côte, une digue pareille à celle de Cherbourg, et entre Cherbourg et Brest un mouillage convenable à l’Île-à-Bois, le tout pour assurer, en tout temps et sans péril, la libre et pleine communication de nos vaisseaux de haut bord depuis Anvers jusqu’à Brest. Quant au manque de matelots et aux grandes difficultés d’en former, il fut ordonné d’y pourvoir en exerçant chaque jour de jeunes conscrits dans toutes nos rades. Ils seraient placés d’abord sur de petits bâtiments légers : une flottille de ce genre devait même naviguer dans le Zuyderzée ; et de là ces matelots, passablement formés, seraient versés sur les gros vaisseaux, et remplacés aussitôt par d’autres qui de-