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Sur les belles Italiennes.


Mercredi 17.

La conversation a roulé particulièrement sur les Italiennes, leur caractère, leur beauté.

Le jeune général qui fit la conquête de l’Italie y excita, dès le premier instant, tous les enthousiasmes et toutes les ambitions ; l’Empereur se complaisait à l’entendre et à le redire. Il n’y avait pas de beauté surtout qui n’aspirât à lui plaire et à le toucher ; mais ce fut en vain. « Mon âme était trop forte, disait-il, pour donner dans le piège : sous les fleurs je jugeais du précipice. Ma position était des plus délicates, je commandais de vieux généraux ; ma tâche était immense ; des regards jaloux s’attachaient à tous mes mouvements ; ma circonspection fut extrême. Ma fortune était dans ma sagesse ; j’eusse pu m’oublier une heure, et combien de mes victoires n’ont pas tenu à plus de temps ! »

Plusieurs années après, lors du couronnement à Milan, une chanteuse célèbre (Grassini) attira son attention ; les circonstances étaient moins austères : il la fit demander, et dans son entretien elle se mit à lui rappeler qu’elle avait débuté précisément lors des premiers exploits du général de l’armée d’Italie. « J’étais alors, disait-elle, dans tout l’éclat de ma beauté et de mon talent. Il n’était question que de moi dans les Vierges du soleil. Je séduisais tous les yeux, j’enflammais tous les cœurs. Le jeune général seul était demeuré froid, et pourtant lui seul m’occupait ! Quelle bizarrerie, quelle singularité ! Quand je pouvais valoir quelque chose, que toute l’Italie était à mes pieds, que je la dédaignais héroïquement pour un seul de vos regards, je n’ai pu l’obtenir ; et voilà que vous les laissez tomber sur moi, aujourd’hui que je n’en vaux pas la peine, que je ne suis plus digne de vous ! »


Faubourg Saint-Germain – Aristocratie ; démocratie – L’Empereur eût voulu épouser une Française.


Jeudi 18.

Sur les quatre heures, l’Empereur m’a fait demander ; il se trouvait très faible ; il s’était oublié trois heures dans un bain fort chaud, et s’était fait une brûlure à la cuisse droite avec le robinet d’eau bouillante ; il y avait lu deux volumes. Il s’est rasé, et n’a pas voulu s’habiller.

À sept heures et demie, l’Empereur a commandé deux couverts dans son cabinet. Il s’est trouvé fort contrarié qu’on eût dérangé ses papiers pour faire usage de la table, les a fait remettre, et a ordonné qu’on se servît d’une autre petite table.

Nous avons causé longtemps ; il m’a remis sur des sujets qui lui reviennent souvent avec moi, et dans lesquels je dois tâcher de ne pas me