Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/827

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ciers étaient pleins d’instruction, de zèle, d’ardeur et d’impatience. Avant d’avoir vu tout cela, je ne m’en doutais assurément pas ; je ne l’eusse même pas cru, si l’on me l’eût raconté.

« Quant aux dépôts de mendicité, l’objet spécial de ma mission, vos intentions, Sire, avaient été mal comprises, le but tout à fait manqué. Non seulement la mendicité, dans la plupart des départements, n’avait point été détruite, elle n’avait pas même été entamée : c’est que plusieurs préfets, loin de faire des dépôts un épouvantail pour les mendiants, n’y avaient vu qu’un refuge pour les pauvres ; au lieu de présenter la réclusion comme un châtiment, ils la faisaient solliciter comme un asile : aussi le sort des reclus pouvait-il être envié par les paysans laborieux du voisinage. On eût de la sorte couvert la France de pareils établissements, qu’on eût trouvé à les remplir, et qu’on n’en eût pas eu moins de mendiants, qui d’ordinaire s’en font une profession, et l’exercent par goût. Toutefois, je pus voir que l’extirpation de cette lèpre était très possible, et il suffisait de quelques départements, où les préfets avaient mieux vu la chose, pour s’en convaincre. Il en était où elle avait presque entièrement disparu.

« Une observation qui frappe tout d’abord, c’est que, toutes choses d’ailleurs égales, la mendicité est beaucoup plus rare dans les parties pauvres et stériles, beaucoup plus communes dans les provinces fertiles et abondantes ; comme aussi elle est infiniment plus difficile à extirper dans les endroits où le clergé a été plus riche et plus puissant. Dans la Belgique, par exemple, on voyait des mendiants se faire honneur de leur profession, se vanter de l’exercer depuis plusieurs générations ; c’était là leurs titres à eux ; là aussi la mendicité avait ses quartiers. – Mais je n’en suis pas étonné, a repris l’Empereur, le nœud de cette grande affaire est tout entier dans la stricte séparation du pauvre qui commande le respect, d’avec le mendiant qui doit exciter la colère ; or nos travers religieux mêlent si bien ces deux classes, qu’ils semblent faire de la mendicité un mérite, une espèce de vertu, qu’ils la provoquent en lui présentant des récompenses célestes : au fait, les mendiants ne sont ni plus ni moins que des moines au petit pied ; tellement que dans leur nomenclature se trouvent les moines mendiants. Comment de telles idées ne porteraient-elles pas la confusion dans l’esprit et le désordre dans la société ? On a canonisé grand nombre de saints dont le grand mérite apparent était la mendicité. On semble les avoir placés dans le ciel pour ce qui, en bonne police, n’eût dû leur valoir sur la terre que le châtiment et la