Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Dans sa charité chrétienne, car c’est véritablement un bon, doux et brave homme, disait l’Empereur, il n’a jamais désespéré de me tenir pénitent à son tribunal ; il en a laissé souvent échapper l’espoir et la pensée. Nous en causions quelquefois gaiement et de bonne amitié. « Vous y viendrez tôt ou tard, me disait-il avec une innocente douceur, je vous y tiendrai, ou d’autres si ce n’est pas moi ; et vous verrez alors quel contentement, quelle satisfaction pour vous-même, etc., etc. » En attendant, mon influence sur lui était telle que je lui arrachai, par la seule force de ma conversation privée, ce fameux concordat de Fontainebleau, dans lequel il a renoncé à la souveraineté temporelle, acte pour lequel il a fait voir depuis qu’il redoutait le jugement de la postérité, ou plutôt la réprobation de ses successeurs. Il n’eut pas plus tôt signé qu’il s’en repentit. Il devait, le lendemain, dîner en public avec moi ; mais dans la nuit il fut malade ou feignit de l’être. C’est qu’immédiatement après que je l’eus quitté il retomba dans les mains de ses conseillers habituels, qui lui firent un épouvantail de ce qu’il venait d’arrêter. Si nous eussions été laissés à nous seuls, j’en eusse fait ce que j’aurais voulu ; j’eusse gouverné alors le monde religieux avec la même facilité que je gouvernais le monde politique. Pie VII est vraiment un agneau, tout à fait un bon homme, un véritable homme de bien que j’estime, que j’aime beaucoup, et qui, de son côté, me le rend un peu, j’en suis sûr. Vous ne le verrez pas trop se plaindre de moi, ni porter surtout aucune accusation directe et personnelle. Vous ne verrez pas non plus les autres souverains le faire davantage. Peut-être des déclamations vagues et banales d’ambition et de mauvaise foi ; mais rien de positif et de direct : parce que les hommes d’État savent bien que, l’heure des libelles passée, on ne saurait se permettre d’accusation publique sans des preuves à l’appui ; or ils n’auraient rien à produire en ce genre : telle sera l’histoire. Il n’y aura rien de contraire, au plus, que quelques mauvais chroniqueurs assez bornés pour avoir pris des radotages de coterie ou des intrigues pour des faits authentiques, ou bien encore les mémorialistes, qui, trompés par les erreurs du moment, seront morts avant d’avoir pu se redresser, etc.

« Quand on connaîtra la vérité de mes querelles avec le pape, on s’étonnera de tout ce qu’il fit souffrir à ma patience, car on sait que je n’étais pas endurant. Lorsqu’il me quitta, après mon couronnement, il partit avec le secret dépit de n’avoir pas obtenu de moi les récompenses qu’il croyait avoir méritées. Mais, quelque reconnais-