Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/150

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eût enfin commencé à pouvoir jouir. Et vraiment cela a tenu à bien peu de chose ! car j’avais été pour combattre des hommes en armes, et non la nature en courroux : j’ai défait des armées, mais je n’ai pu vaincre les flammes, la gelée, l’engourdissement, la mort ! Le destin a dû être plus fort que moi. Et pourtant, quel malheur pour la France, pour l’Europe !

« La paix dans Moscou accomplissait et terminait mes expéditions de guerre. C’était, pour la grande cause, la fin des hasards et le commencement de la sécurité. Un nouvel horizon, de nouveaux travaux allaient se dérouler, tous pleins du bien-être et de la prospérité de tous. Le système européen se trouvait fondé ; il n’était plus question que de l’organiser.

« Satisfait sur ces grands points, et tranquille partout, j’aurais eu aussi mon congrès et ma sainte-alliance. Ce sont des idées qu’on m’a volée. Dans cette réunion de tous les souverains, nous eussions traité de nos intérêts en famille, et compté de clerc à maître avec les peuples.

« La cause du siècle était gagnée, la révolution accomplie ; il ne s’agissait plus que de la raccommoder avec ce qu’elle n’avait pas détruit. Or cet ouvrage m’appartenait ; je l’avais préparé de longue main, aux dépens de ma popularité peut-être. N’importe. Je devenais l’arche de l’ancienne et de la nouvelle alliance, le médiateur naturel entre l’ancien et le nouvel ordre de choses. J’avais les principes et la confiance de l’un, je m’étais identifié avec l’autre ; j’appartenais à tous les deux ; j’aurais fait en conscience la part de chacun.

« Ma gloire eût été dans mon équité. »

Et après avoir énuméré ce qu’il eût proposé de souverain à souverain et de souverains à peuples : « Forts comme nous l’étions, continuait-il, tout ce que nous eussions concédé eût semblé grand. Il nous eût mérité la reconnaissance des peuples. Aujourd’hui, ce qu’ils arracheront ne leur semblera jamais assez, et ils ne cesseront de se défier ni d’être mécontents. »

Il passait ensuite en revue ce qu’il eût proposé pour la prospérité, les intérêts, la jouissance et le bien-être de l’association européenne. Il eût voulu les mêmes principes, le même système partout ; un code européen, une cour de cassation européenne, redressant pour tous les erreurs, comme la nôtre redresse chez nous celles de nos tribunaux. Une même monnaie sous des coins différents ; les mêmes poids, les mêmes mesures les mêmes lois, etc., etc.