Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/175

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Plus tard, l’Empereur a beaucoup parlé de sir Sidney-Smith. Il venait, disait-il, de lire dans le Moniteur les pièces de la convention d’El-Arisk, et observait que Sidney-Smith y avait mis beaucoup d’esprit et s’y était montré honnête homme. Il avait embêté Kléber, disait-il, par tous les contes qu’il était venu à bout de lui faire croire. Mais quand le refus de ratification de la part de son gouvernement arriva, Sidney-Smith s’en montra fort mécontent et employa beaucoup de loyauté vis-à-vis de l’armée française. « Après tout, disait l’Empereur, Sidney-Smith n’est point un méchant homme, j’en prends aujourd’hui une meilleure opinion, surtout d’après ce que je vois chaque jour de ses confrères. »

Ce fut sir Sidney qui, en communiquant les journaux d’Europe, amena le départ de Napoléon, et par conséquent le dénouement de brumaire. Les Français, revenant de Saint-Jean-d’Acre, ignoraient tout à fait ce qui s’était passé en Europe depuis plusieurs mois. Napoléon, avide d’apprendre quelques nouvelles, envoya un parlementaire à bord de l’amiral turc, sous prétexte de traiter des prisonniers qu’il venait de faire à Aboukir, se doutant bien que ce parlementaire serait arrêté par sir Sidney-Smith qui mettait le plus grand soin à empêcher toute relation directe entre les Français et les Turcs. En effet, le parlementaire français reçut de sir Sidney-Smith l’intimation de monter à son bord, et, tout en le comblant de bons traitements, sir Sidney-Smith, acquérant la certitude que les désastres d’Italie étaient inconnus à Napoléon, se fit un malin plaisir de lui envoyer une suite de journaux.

Napoléon passa la nuit dans sa tente à dévorer ces papiers, et résolut à l’instant même de passer en Europe, pour remédier, s’il en était temps, aux maux de la patrie et la sauver.

L’amiral Ganthaume, qui avait ramené Napoléon d’Égypte sur la frégate le Muiron, m’a souvent raconté son voyage. Cet officier était toujours demeuré au quartier-général depuis la destruction de la flotte à Aboukir. Il me disait que peu de temps après le retour de Syrie, et immédiatement après une communication de l’escadre anglaise, le général en chef le fit venir et lui donna l’ordre d’aller en toute hâte à Alexandrie, d’y armer avec mystère et avec toute la célérité possible une des frégates vénitiennes qui s’y trouvaient, et de le prévenir aussitôt qu’elle serait prête.

Ce moment arrivé, le général en chef qui faisait une tournée d’inspection, se rendit sur une plage non fréquentée avec un escadron de ses guides ; des canots s’y trouvèrent pour les recevoir, et les condui-