Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/190

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France on souffre davantage ; nous souffrons tous, et cela durera tant que l’ennemi commun, le tyran des mers, le vampire de votre commerce, ne sera pas ramené à la raison. Vous vous plaignez de vos sacrifices ? Mais venez en France, et vous verrez tout ce qui vous reste encore au-dessus de nous ; alors vous vous estimerez moins malheureux peut-être… Mais pourquoi ne vous féliciteriez-vous pas plutôt de la fatalité qui amène votre réunion avec nous ? Dans la composition nouvelle de l’Europe, que seriez-vous désormais, laissés à vous-mêmes ? les esclaves de tout le monde ; au lieu qu’identifiés à la France, vous êtes appelés à faire un jour avec éclat tout le commerce du grand empire. » Puis, prenant le ton de la gaieté, il leur dit : « J’ai fait tout pour vous plaire et vous accommoder. Ne vous ai-je pas envoyé pour vous gouverner justement l’homme qu’il vous fallait, le bon et pacifique Lebrun ? Vous pleurez avec lui, il pleure avec vous, vous pleurez ensemble ; que pouvais-je faire de mieux ? » Et à ces mots le flegme hollandais disparut ; tout l’auditoire se mit à rire aux éclats, et l’Empereur put compter sur eux. « Du reste, ajouta-t-il, espérons que ce ne sera pas long ; croyez que je le désire autant que vous. Ceux d’entre vous qui voient loin vous diront que rien de tout ceci n’est dans mon caprice ni dans mes intérêts. »

L’Empereur laissa le peuple d’Amsterdam ivre de sa personne, et emporta lui-même des sentiments très prononcés en sa faveur. Il avait coutume de se plaindre, avant son voyage, que quiconque était envoyé par lui en Hollande y devenait aussitôt Hollandais : il le rappela au Conseil d’État à son retour, et dit qu’il l’était devenu lui-même. Et un jour qu’un des orateurs parlait légèrement de l’esprit des Hollandais : « Messieurs, dit-il, vous pouvez être plus aimables, mais je vous souhaite leur moralité. »

Après dîner, quelqu’un ayant mentionné la date du jour (3 septembre), l’Empereur a dit à ce sujet des paroles bien remarquables. En voici quelques-unes : « C’est l’anniversaire d’exécutions bien épouvantables, bien hideuses, une réaction en petit de la Saint-Barthélémy, une tache pour nous, moindre sans doute parce qu’elle a fait moins de victimes et qu’elle n’a pas porté la sanction du gouvernement, qui essaya même de punir le crime. Il a été commis par la commune de Paris, puissance spontanée, rivale de la législature, supérieure même.

Au surplus, disait l’Empereur, ce fut bien plutôt l’acte du fanatisme que celui de la pure scélératesse ; on a vu les massacreurs de septem-