Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/275

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d’être forcé de se séparer. Son frère Joseph lui offrit alors le sien, qu’il avait depuis peu de temps ; et Napoléon, en l’acceptant, acquit un trésor ; il l’a répété plusieurs fois : c’était Méneval, que depuis il a fait baron, maître des requêtes et secrétaire des commandements de l’impératrice Marie-Louise.

Son titre auprès du Premier Consul fut celui de secrétaire du portefeuille ; il fut même fait à son sujet un fort long règlement, dont l’article le plus essentiel était qu’il ne devait jamais, sous aucun prétexte, avoir à lui ni secrétaire ni copiste ; ce qui fut toujours strictement observé.

M. Méneval était doux, réservé, fort secret, travaillant à toute heure et en tout temps ; aussi l’Empereur n’en a-t-il jamais éprouvé que satisfaction, agrément, et l’a fort aimé. Le secrétaire du portefeuille était généralement chargé de tout le courant, et de tout ce qui était instantané et d’improvisation. Que d’affaires, de projets et de pensées ont été traités et transmis par son intermédiaire ! Il ouvrait et lisait toutes les lettres adressées directement à l’Empereur ; les classait pour son examen, et écrivait sous sa dictée.

On sait avec quelle célérité l’Empereur dictait, si bien que le plus souvent, et pour gagner du temps, le secrétaire devait chercher à retenir les mots plutôt qu’à les transcrire, ce dont s’acquittait merveilleusement M. Méneval, qui par la suite eut autorité de répondre par lui-même à bien des objets. Il aurait pu facilement acquérir beaucoup d’importance ; mais c’était tout à fait hors de son inclination naturelle.

L’Empereur était la plus grande partie du temps dans son cabinet ; on eût pu dire qu’il y passait le jour et souvent une partie de la nuit. Il se couchait à dix ou onze heures, et se relevait vers minuit pour travailler de nouveau quelques heures. Il faisait parfois appeler M. Méneval, le plus souvent non : et comme il arrivait à celui-ci de s’y rendre de lui-même, l’Empereur, connaissant tout son zèle, répondait d’ordinaire à cet empressement : « Il ne faut pas vous tuer. »

L’Empereur, en reparaissant le matin au cabinet, y trouvait des liasses mises en ordre à l’avance par M. Méneval, qui l’avait précédé. S’il y manquait parfois vingt-quatre heures ou deux jours, son secrétaire le prévenait qu’il allait se laisser encombrer, et que le cabinet serait bientôt plein, ce à quoi l’Empereur répliquait d’ordinaire gaiement : « Ne vous effrayez pas, cela sera bientôt net. » Et en effet, en peu d’heures, l’Empereur s’était mis au courant. Il est vrai qu’il répondait beaucoup en ne répondant pas, en jetant tout ce qu’il jugeait inutile, même de