Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/329

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Saint-Germain que Siéyes avait été pris en flagrant délit conspirant contre lui lors de l’affaire de M. Clément de Ris, enlevé et mis en charte privée par les chouans, et que lui, Napoléon, lui avait fait grâce au prix de son éloignement et de son abnégation politique. « Nouvelle fable de vos oisifs. Il n’y a pas le plus léger fondement à cette histoire, a repris l’Empereur ; Siéyes m’a toujours été attaché, je n’ai jamais eu à m’en plaindre. Il a pu être fâché de me trouver dans le chemin de ses idées métaphysiques, mais il en revenait à sentir la nécessité que quelqu’un gouvernât, et me préférait à un autre. Siéyes, après tout, était probe, honnête, et surtout fort habile ; la révolution lui doit beaucoup. » Et il s’est mis à raconter qu’à une des premières fêtes du consulat, considérant les illuminations avec Siéyes, il lui avait demandé ce qu’il pensait des affaires ; Siéyes se montra plus froid, fut même décourageant. « Mais cependant j’ai trouvé ce matin tout le peuple dans des dispositions excellentes. – Rarement, répondait à cela Siéyes, le peuple se montra à découvert vis-à-vis de celui qui, possédant le pouvoir, apparaît à ses regards. Moi je dois vous dire qu’il n’est pas content. – Vous ne croyez donc pas que ce gouvernement tienne ? – Non. – Vous ne croyez donc pas ceci fini ? – Non. – Et quand le regarderez-vous comme fini ? – Quand je verrai dans votre antichambre les anciens ducs, les anciens marquis, dit Siéyes. Et l’Empereur ajoutait : Siéyes ne se doutait pas que ce serait sitôt. Il ne lisait pas fort au loin, il avait la vue courte. Je pensais bien intérieurement comme lui que tout ne pouvait pas être fini avec la république ; mais je sentais que l’empire n’était pas loin. Aussi, deux ou trois ans plus tard, n’ayant pas perdu le souvenir de l’anecdote, dans une de mes plus grandes audiences je dis à Siéyes : Eh bien ! vous voici pêle-mêle avec les anciens ducs et les anciens marquis, regardez-vous le tout comme fini ? – Oh ! oui, dit Siéyes, s’inclinant profondément, vous avez accompli des prodiges que rien n’égale, et qu’il était au-dessus de mes forces de prévoir. »

L’Empereur, dans son consulat, et même sous l’empire, le jour des fêtes publiques, allait parfois très tard se mêler dans la foule, voir les illuminations et entendre les propos du peuple. Cela lui est arrivé même avec Marie-Louise. L’un et l’autre ont été bras à bras, le soir, sur les boulevards, et se sont donné le plaisir, disait l’Empereur, moyennant leur petite rétribution, de contempler, dans les lanternes magi-