Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principes de la guerre offensive avaient été violés ; ils furent tous observés dans celle de Napoléon.

« Dans sa marche sur Moscou, il n’a jamais eu l’ennemi sur ses derrières ; pas un malade, pas un homme isolé, pas une estafette, pas un convoi n’ont été enlevés depuis Mayence jusqu’à Moscou ; on n’a pas été un jour sans recevoir des nouvelles de France ; Paris n’a pas été un jour sans recevoir des lettres de l’armée ; pas une maison de station retranchée (il y en avait à tous les postes) n’a été attaquée.

« Les convois d’artillerie et d’équipages militaires arrivèrent sans accident : on a tiré à la bataille de Smolensk plus de soixante mille coups de canon, cent vingt mille à la bataille de la Moscowa ; la consommation a été considérable dans les petits combats, et cependant en partant de Moscou chaque pièce était approvisionnée à trois cent cinquante coups.

« La marche de l’armée, au sortir de Moscou, ne doit pas s’appeler une retraite, puisque cette armée était victorieuse, et qu’elle eût pu marcher également sur Saint-Pétersbourg, sur Kalouga ou sur Toula, que Kutusow eût en vain essayé de couvrir. L’armée ne se retira pas sur Smolensk, parce qu’elle était battue, mais pour hiverner en Pologne et marcher au printemps sur Saint-Pétersbourg. Si l’on eût été en été, ni l’armée de l’amiral Tchitchagow ni celle de Kutusow n’eussent osé approcher de l’armée française de dix journées, sous peine d’être détruites de suite. La cour craignait tellement que l’on marchât sur Saint-Pétersbourg, qu’elle avait fait évacuer sur Londres ses archives et ses trésors les plus précieux, et qu’elle appela de Podolie l’armée de l’amiral Tchitchagow pour couvrir cette capitale. Si Moscou n’eût pas été incendiée, l’empereur Alexandre eût été contraint à la paix. Après l’embrasement de Moscou, si les grands froids n’avaient pas commencé quinze jours plus tôt qu’à l’ordinaire, l’armée fût revenue sans perte à Smolensk, où elle n’aurait eu rien à redouter des armées russes, battues à la Moscowa, à Maloï-Jaroslawitz ; elles avaient trop grand besoin de repos.

« On savait bien qu’il faisait froid en décembre et janvier ; mais on avait lieu de croire, par le relevé de la température des vingt années précédentes, que le thermomètre ne descendrait pas au-dessous de dix degrés de glace pendant novembre ; il n’a manqué à l’armée que trois jours pour achever sa retraite en bon ordre ; mais dans ces trois jours elle perdit trente mille chevaux. Par l’évènement, on pourrait donc reprocher à Napoléon d’être resté quatre jours de trop à Mos-