Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/361

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d’abord qu’on m’eût envoyé un geôlier, mais aujourd’hui je prononce que c’est un bourreau, etc. »

Je consacre ces mots et je pourrais en consacrer bien d’autres, quelque peu bienséants qu’ils puissent être : 1° parce que je les ai entendus ; 2° parce que Napoléon les a dits à sir Hudson Lowe lui-même, ou les lui a fait transmettre ; 3° enfin parce qu’ils ont été mérités, tant ce gouverneur, au grand scandale des Anglais mêmes, qui, sur les lieux, en témoignaient leur profond dégoût, a abusé arbitrairement, oppressivement et brutalement d’un pouvoir qu’il avait à exercer au nom d’une nation si éminemment recommandable par tout le globe, au nom d’un prince si généralement considéré en Europe, enfin au nom d’un ministère au sein duquel se trouvaient encore quelques gens d’honneur personnellement connus par leur modération et leurs belles manières.

Les attaques sur Napoléon étaient incessantes, les tourments de tous les instants. Il ne se passait pas de jour sans nouvelles blessures ; et alors on put dire que se trouvait comme réalisé un des supplices de la fable.

Ah ! si jamais, dans cette époque de deuil pour tant de cœurs généreux, le génie de l’Europe, celui de la vérité, celui de l’histoire se sont tournés même involontairement vers Sainte-Hélène sur le grand Napoléon, s’ils l’ont cherché dans cette île, dont ils pensaient qu’on eût dû s’efforcer du moins de faire son Élysée, quelle n’aura pas été leur indignation de l’apercevoir, dans l’auréole de tant d’actes immortels, cloué sur un roc à la façon de Prométhée et sous les griffes de son vautour se délectant aussi à le déchiqueter pièce à pièce ! Oh ! quelle infamie !… Quelle honte éternelle !

Dans cette période, la santé de l’Empereur a constamment et grandement décliné ; ce corps, cru si robuste, qui avait résisté à tant de travaux, qu’avaient épargné tant de fatigues, qu’avaient soutenu les victoires et la gloire, courbait désormais sous des infirmités que hâtait la méchanceté des hommes. C’était presque chaque jour quelque incommodité nouvelle, des ressentiments de fièvre, des fluxions violentes, des symptômes de scorbut, des rhumes continuels ; les traits s’altéraient, la marche devenait pesante, les jambes se gonflaient, etc. Nos cœurs se déchiraient de le voir courir visiblement vers une destruction infaillible et prochaine ; tous nos soins n’y pouvaient rien.

Il avait renoncé depuis longtemps au cheval, et finit par renoncer à peu près aussi à la calèche ; même la simple promenade à pied devint rare, et il se trouva réduit, à peu de chose près, à la stricte réclusion de ses appartements. Il ne s’occupait plus désormais d’un travail suivi et