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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/371

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armée toute faite. Et peut-être, disais-je, est-ce cette première idée qui aura conduit à celle des pontons ? car le nombre des prisonniers croissant toujours, on s’effrayait de les avoir à terre au milieu de soi par la disposition d’une partie de la population, qu’on soupçonnait d’être fort portée à fraterniser avec les Français. « Eh bien ! disait Napoléon, je conçois ces îles, car la sûreté et la propre conservation avant tout. Mais le supplice des pontons est une tache à l’humanité anglaise, un aiguillon de fureur qui ne peut sortir du cœur des prisonniers français.

« L’article des prisonniers a été un des points sur lesquels s’est exercée la mauvaise foi habituelle des ministres anglais, avec ce machiavélisme ordinaire qui caractérise si bien l’école actuelle. Absolument résolus à repousser tout échange, et ne voulant pas être accusés de s’y refuser, ils multipliaient et dénaturaient les prétextes. C’était d’abord mon atroce violation des droits civilisés envers les détenus, que je prétendais considérer comme des prisonniers, principe qu’il ne leur était pas permis de reconnaître, disaient-ils, par quelque considération que ce fût. Ensuite vinrent les évasions réciproques. Quelques-uns des détenus, qui chez nous demeuraient libres sur parole, s’étant évadés, ils furent accueillis chez eux avec acclamations. Des Français en firent autant, et je blâmai leur retour. Je fus jusqu’à proposer qu’on se renvoyât réciproquement ceux qui avaient violé leurs engagements ; mais il me fut répondu que des détenus n’étaient pas des prisonniers, qu’ils n’avaient fait qu’user d’un droit légitime, qu’ils avaient échappé à l’oppression, qu’ils avaient bien fait ; et on les employa. Dès ce moment, j’engageai les miens à s’évader, je les employai, et les ministres remplirent leurs journaux des plus effrontées diatribes, me signalèrent à l’Europe comme un homme sans morale, sans foi ni loi, etc.

Quand enfin, par un motif quelconque, il leur convint de traiter de l’échange, ou peut-être aussi quand il leur vint une idée qu’ils crurent propre à me jouer sur ce point, ils envoyèrent un commissaire ; les grandes difficultés disparurent, et les bases se posèrent pour l’amour de l’humanité et autres grands mots. Ils consentirent à compter les détenus au nombre des prisonniers, et à y admettre l’armée hanovrienne, que j’avais faite prisonnière et licenciée sur parole. Ce point avait été longtemps un obstacle ; car les Hanovriens n’étaient pas Anglais, insinuait-on. Tout allait bien jusque-là et semblait marcher à une conclusion facile ; mais je connaissais mes adversaires, et je lisais leurs véritables intentions. Ils avaient plus de Français que je