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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/42

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ticulier ne m’a proposé un pont qu’il n’ait été pris au mot. S’il me demandait un péage de vingt-cinq ans, j’étais disposé à le lui accorder pour trente. Il m’importait peu qu’il fût utile, s’il ne devait me rien coûter. C’était toujours un capital dont j’enrichissais le sol. Au lieu de refuser des canaux, je courais après. Mais, mon cher, rien ne se ressemble moins qu’une conversation de salon et un conseil d’administration. L’homme à projets, dans un salon, a toujours raison ; ses résultats seraient magnifiques, infaillibles, si on l’écoutait, et pour peu qu’il puisse lier le refus qu’il éprouve à quelques pots-de-vin, à quelque intrigue de femme ou de maîtresse, le roman est complet ; or voilà ce que vous avez entendu. Mais il n’en est pas ainsi dans un conseil d’administration, parce qu’on n’y décide que sur des faits et le compas à la main. Quel est votre canal ? avez-vous dit, il ne saurait m’être étranger. – Sire, de la Meuse à la Marne, et de sept lieues seulement. – Eh bien ! mon cher, c’est de la Meuse à l’Aisne que vous voulez dire, et il eût été de moins de sept lieues. Cela va me revenir ; mais il n’y a qu’une petite difficulté, c’est qu’en cet instant même il est encore douteux qu’il soit praticable. Là, comme ailleurs, Hippocrate dit oui, et Gallien dit non. Tarbé l’assurait impossible, niant qu’il eût assez d’eau au point du partage. Je vous répète, continuait l’Empereur, que vous parlez à celui du monde qui s’est le plus occupé de ces objets, surtout aux environs de Paris. Il entrait dans mes rêves perpétuels de faire de celle-ci la véritable capitale de l’Europe ; parfois je voulais qu’elle devînt une ville de deux, trois ou quatre millions d’habitants, par exemple, en un mot quelque chose de fabuleux de colossal, d’inconnu jusqu’à nos jours, et dont les établissements publics eussent répondu à la population. »

Quelqu’un ayant observé alors que si le ciel eût donné à l’Empereur un règne de soixante ans, comme à Louis XIV, il aurait laissé de bien grandes choses : « Si le ciel m’eût donné seulement vingt ans et un peu de loisir, a repris vivement l’Empereur, on aurait cherché vainement l’ancien Paris ; il n’en fût pas resté de vestiges, et j’aurais changé la face de la France. Archimède promettait tout, si on lui laissait poser le bout de son levier ; j’en eusse fait autant partout où l’on m’eût laissé poser mon énergie, ma persévérance et mes budgets… Avec les budgets on créerait le monde… J’aurais montré la différence d’un empereur constitutionnel à un roi de France. Les rois de France n’ont jamais rien eu d’administratif ni de municipal… Ils ne