Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/445

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d’écrire ses campagnes ! Quels commentaires que ceux de Napoléon !!!

L’Empereur a continué d’analyser de la sorte Gustave-Adolphe ; Condé, chez qui il disait que la science semblait avoir été un instinct, la nature l’ayant produit tout savant ; Turenne, qui, au contraire, ne s’était formé qu’avec peine et à force d’instruction. Et m’étant permis de lui dire à ce sujet qu’on avait remarqué pourtant que Turenne n’avait point forme d’élèves, tandis que Condé en avait laissé plusieurs fort distingués : « Pur caprice du hasard, a repris l’Empereur ; c’est le contraire qui eût dû arriver. Mais il ne dépend pas toujours des maîtres de faire de bons écoliers, encore faut-il que la nature s’y prête ; la semence doit rencontrer son terrain. » Il a continué sur Eugène, Marlborough, Vendôme, etc. ; sur le grand Frédéric, qu’il disait avoir été, sur toutes choses, tacticien par excellence, et avoir eu le secret de faire des soldats de véritables machines. À son sujet, il a dit : Combien les hommes diffèrent parfois de ce qu’ils s’annoncent ! Savent-ils bien toujours eux-mêmes ce qu’ils sont ? En voilà un, remarquait-il, qui, au début, prend la fuite devant sa propre victoire, et qui, tout le reste de sa carrière, se montre au feu bien certainement le plus intrépide, le plus tenace, le plus froid des hommes, etc. »

Après dîner, l’Empereur, plein de son travail du jour, traitait en maître une foule d’objets de guerre.

Il revenait sur la grande différence de la guerre des anciens avec celle des modernes. « L’invention des armes à feu a tout changé, observait-il ; cette grande découverte était, du reste, tout à l’avantage des assaillants, bien que jusqu’ici la plupart des modernes aient soutenu le contraire. La force corporelle des anciens, observait-il encore, était en harmonie avec leurs armes offensives et défensives : les nôtres, au contraire, celles de nos jours, sont tout à fait hors de notre sphère. »

L'Empereur voulait que, dans l’état actuel, on donnât plus de consistance au troisième rang de l’infanterie ou bien qu’on le supprimât, et il en développait le motif.

Il voulait que l’infanterie chargée par la cavalerie tirât de fort loin sur elle, au lieu de l’attendre à bout portant, comme on le fait aujourd’hui, et il en démontrait l’avantage.

Il disait que l’infanterie et la cavalerie laissées à elles-mêmes sans artillerie ne devaient point amener de résultat décisif ; mais qu’avec de l’artillerie, et toutes choses d’ailleurs égales, la cavalerie devait détruire l’infanterie ; et il développait très lumineusement toutes ces choses, et une foule d’autres encore.