Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/450

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taires, formassent d’eux-mêmes le fonds de leurs pensions à venir, par une légère retenue de leur salaire annuel. Il y attachait beaucoup de prix : « De la sorte, disait-il, l’avenir de chacun ne sera plus un objet de sollicitation, une faveur ; ce sera un droit, une vraie propriété : ce qui lui aura été retenu sera versé à la caisse d’amortissement chargée de le faire valoir : ce sera son propre bien qu’il suivra des yeux, et qu’il retirera, sans contestation, lors de sa retraite. » On lui objectait qu’il était des traitements, ceux des militaires surtout, qui ne pourraient admettre de retenue. « Eh bien ! j’y suppléerai, répliquait l’Empereur, je les accroîtrai de toute la retenue. – Mais à quoi bon alors, objectait-on encore, si l’on doit faire la même dépense ? il n’y aurait point d’économie ; où seraient donc les avantages ? – Les avantages, répliquait l’Empereur, seraient dans la différence entre le certain et l’incertain, entre le repos du trésor, qui n’aurait plus à se mêler de ces accidents, et la tranquillité des citoyens, qui posséderaient leur garantie, etc., etc. »

L’Empereur défendit cette idée avec beaucoup de chaleur. Il y revint plus d’une fois, elle demeura néanmoins sans résultat. J’ai déjà dit l’avoir vu improviser souvent de la sorte, ou faire discuter, après impression, une foule d’autres projets qui ont éprouvé le même sort. Voici ce qui peut en fort peu de mots donner une idée des travaux et de l’activité de son administration. « On a calculé que le gouvernement de Napoléon, dans un espace de quatorze ans et cinq mois, présente soixante et un mille cent trente neuf délibérations du Conseil d’État sur des objets différents ! » (Histoire critique et raisonnée, etc., de Montvéran.)

Enfin j’ai entendu maintes fois Napoléon, et en diverses circonstances, répéter qu’il eût voulu un Institut européen, des prix européens, pour animer, diriger et coordonner toutes les associations savantes en Europe.

Il eût voulu pour toute l’Europe l’uniformité des monnaies, des poids, des mesures ; l’uniformité de législation. « Pourquoi, disait-il, mon Code Napoléon n’eût-il pas servi de base à un Code européen, et mon Université impériale à une Université européenne ? De la sorte, nous n’eussions réellement, en Europe, composé qu’une seule et même famille. Chacun, en voyageant, n’eût pas cessé de se trouver chez lui, etc. »


L’Empereur change de manière à nous affecter – Le gouverneur nous environne de fortifications. Terreurs de sir Hudson Lowe – Général Lamarque – Madame Récamier et un prince de Prusse.


Vendredi 15.

Sur les trois heures, l’Empereur, avec qui j’avais déjà déjeuné le