Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/457

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rétablissement de l’ancien ordre de choses, le redressement de ce qu’ils appellent les torts, les injustices, les déprédations passés, enfin le retour de la morale publique, et il sacrifie la république de Venise, qu’il abandonne à l’Autriche ; celle de Gênes, dont il accommode le Piémont ; il agrandit de la Pologne la Russie, son ennemie naturelle ; il dépouille le roi de Saxe en faveur de la Prusse, qui ne peut plus lui être de secours aucun ; il enlève la Norvège au Danemark, qui, plus indépendant de la Russie, pourrait lui ouvrir la clef de la Baltique pour enrichir la Suède, tombée, par la perte de la Finlande et des îles de la Baltique, tout à fait sous la sujétion des Russes. Enfin, en violation des premiers éléments de la politique générale, il néglige, dans sa situation toute-puissante, de ressusciter l’indépendance de la Pologne, et par là livre Constantinople, expose toute l’Europe et prépare mille embarras à l’Angleterre.

« Je ne dirai rien du monstrueux contresens d’un ministre, le représentant de la nation libre par excellence, qui remet l’Italie sous le joug, y maintient l’Espagne, concourt de tous ses efforts à river des fers sur tout le continent. Penserait-il donc que la liberté n’est applicable qu’aux Anglais, et que le continent n’est pas fait pour elle[1] ! Mais, dans ce cas même, il se trouverait en tort vis-à-vis de ses propres compatriotes, qu’il prive chaque jour de quelques-uns de leurs droits : c’est la suspension de l’habeas corpus à tort et à travers ; c’est l’alien-bill en vertu duquel, le croirait-on bien ? la femme d’un Anglais, si elle est étrangère, peut être chassée d’Angleterre sous le bon plaisir du ministre ; c’est l’espionnage et la délation qu’il répand à l’infini ; ce sont des agents provocateurs, création infernale, à l’aide desquels on est toujours sûr de trouver des coupables et de multiplier les victimes ; c’est une froide violence, un joug de fer qu’il fait peser sur des dépendances étrangères. Non, lord Castlereagh n’est point le ministre d’un grand peuple libre chargé d’imprimer le respect aux nations étrangères ; c’est un visir des rois du continent, façonnant, à leur instigation, ses compatriotes à l’esclavage ; c’est le chaînon, le conducteur à l’aide duquel se déversent sur le continent les trésors de la Grande-Bretagne et s’importent en Angleterre toutes les doctrines malfaisantes du dehors.

Il semble se montrer le partisan, l’obséquieux associé de cette mystérieuse sainte-alliance, alliance universelle dont je ne saurais d’ici

  1. Et vraiment plus tard lord Castlereagh a eu la cynique impudence de faire précisément cette déclaration en plein parlement et presque dans les mêmes paroles, au sujet des constitutions de Bade et de Bavière.