Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/481

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spectateurs ne fut dupe. Toutefois il fut absous, et la plupart des complices, condamnés à mort.

« Je fis grâce à beaucoup ; tous ceux dont les femmes ou de vives intercessions purent pénétrer jusqu’à moi obtinrent la vie. Les Polignac, M. de Rivière et d’autres auraient infailliblement péri sans des circonstances heureuses. Il en fut de même de gens moins connus, d’un nommé Borel, d’Ingand-de-Saint-Maur, de Rochelle, etc., etc., qui eurent le même bonheur.

« Il est vrai, remarquait-il, qu’ils reconnurent peu, par la suite, une telle faveur, et que, s’ils méritaient qu’on daignât suivre leurs actions, elles ne seraient pas propres à encourager la clémence. L’un d’eux (M. de Rivière) qui, dans cette occasion devait la vie principalement aux instances de Murat, est précisément celui qui a mis sa tête à prix en Provence en 1815. S’il a pensé que la fidélité devait l’emporter sur la reconnaissance, le sacrifice, du moins, aura dû lui être bien pénible. Un autre est celui qui a le plus propagé l’imputation aussi ridicule que celle sur Pichegru était absurde, de l’assassinat du lieutenant anglais Wright, etc.[1].

Et au milieu de toutes les affaires de Georges, Pichegru et Moreau, arriva, disait l’Empereur, celle du duc d’Enghien, qui vint les compliquer d’une étrange manière, » Et il est entré alors dans les détails de celle-ci. Or, c’est cette dernière circonstance qui m’a porté, dans le temps, à déplacer et à renvoyer jusqu’à aujourd’hui la totalité de l’article que je donne en ce moment, tant je répugnais à aborder un sujet aussi affligeant en lui-même ; et si douloureux pour un grand nombre de mes connaissances, qui avaient eu des relations directes avec le prince et lui étaient personnellement attachées. Je redoutais surtout le malheur de réveiller de trop légitimes douleurs dans une haute personne (le duc de Bourbon) qui m’honora jadis de quelques bontés, dont le souvenir m’est toujours demeuré précieux. Voilà mes motifs : on les comprendra, on les approuvera. Mais enfin j’arrive au terme de mon recueil, et mon devoir de narrateur fidèle me commande impérieusement de toucher ce triste sujet ; autrement, on pourrait donner peut-être à mon silence absolu une interprétation qui ne serait pas ma pensée. Toutefois, et par les motifs déjà exprimés, je m’interdirai tous les détails que l’on connaît déjà, et qu’on a pu lire dans les ouvrages cités plus haut (les Lettres du Cap et l’ouvrage de M. O’Méara) ; mon récit serait au fond le même, car toutes ces relations sortent également de la bouche de Napoléon. Je

  1. Voyez les Lettres du Cap.