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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/492

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Et ce que c’est pourtant qu’une conscience coupable ! l’idée de ma lettre clandestine me revint à l’instant, et un secret pressentiment m’avertit aussitôt que tout cela me regardait. En effet, peu d’instants après, on est venu me dire que le colonel anglais, la créature de sir Hudson Lowe, m’attendait chez moi. J’ai fait signe que j’étais avec l’Empereur, qui m’a dit quelques minutes après : « Allez voir, mon cher, ce que vous veut cet animal. » Comme je m’éloignais déjà, il a ajouté : « Et surtout revenez promptement. » Et voilà pour moi les dernières paroles de Napoléon. Hélas ! je ne l’ai plus revenu ! Son accent, le son de sa voix, sont encore à mes oreilles. Que de fois depuis je me suis complu à y arrêter ma pensée ! et quel charme, quelle peine peut tout à la fois renfermer un douloureux souvenir !

Celui qui m’avait fait demander était le complaisant dévoué, l’homme d’exécution du gouverneur, avec lequel je communiquais, du reste, assez souvent à titre d’interprète. À peine il m’aperçut que, d’une figure bénigne, d’une voix mielleuse, il s’enquit avec un intérêt tendre de l’état de ma santé : c’était le baiser de Judas ; car, lui ayant fait signe de la main de prendre place sur mon canapé, et m’y asseyant moi-même, il saisit cet instant pour se placer entre la porte et moi, et, changeant subitement de figure et de langage, il me signifia qu’il m’arrêtait au nom du gouverneur sir Hudson Lowe, sur une dénonciation de mon domestique, pour correspondance clandestine. Des dragons cernaient déjà ma