Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/502

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mon fils : les personnes de l’art doivent vous en avoir instruit. Depuis qu’il a vu se briser le lien cher et sacré qui nous attachait à Longwood, toutes ses idées, ses vœux, ses espérances se sont tournés avec ardeur vers l’Europe, et son mal va s’accroître de toute l’impatience, de tout le pouvoir de l’imagination. Voilà sa situation physique ; elle rend ma situation morale pire encore, s’il est possible. J’ai à combattre tout à la fois et la tendresse du cœur et les inquiétudes de l’esprit. Je ne me vois pas sans effroi responsable à moi-même de l’avoir amené ici, et d’être la cause qu’on l’y retiendrait. Que répondrais-je à une mère qui me le redemanderait ? Que répondrais-je à la foule des oisifs et des indifférents mêmes, toujours empressés de juger et de condamner ? Je ne parle point de ma propre santé, elle m’importe peu dans de telles émotions et de telles anxiétés. Toutefois je me trouve dans un état de débilité absolue, vraiment déplorable : depuis que je n’ai plus sous les yeux la cause qui tenait en exercice les forces de mon âme, mon corps plie sous les ravages effrayants d’un an et demi de combats, d’épreuves et de secousses, tels que l’imagination a de la peine à les suivre. Je ne suis plus auprès de l’objet auguste auquel je consacrais avec charmes les peines de ma vie. Je n’en demeure pas moins éloigné de ma famille, dont le sacrifice m’avait tant déchiré. Mon cœur se brise entre les deux, privé de chacun ; il s’égare dans un abîme ; il ne saurait y résister longtemps. Je vous laisse, monsieur le gouverneur, à peser ces considérations. Ne faites pas deux victimes. Je vous prie de nous envoyer en Angleterre, à la source de la science et des secours de toute nature. Ce sera la première, la seule demande d’aucune espèce qui sera sortie de moi vers vous ou votre prédécesseur. Mais le malheureux état de mon fils l’emporte sur mon stoïcisme. N’atteindra-t-il pas votre humanité ? Un bon nombre de motifs peuvent aider encore votre décision : ma lettre du 30 novembre les renferme tous. J’ajouterai seulement ici l’occasion précieuse pour vous de montrer à tous les yeux une grande et une rare impartialité, en envoyant ainsi vous-même à vos ministres précisément un de vos adversaires. »

À la réception de ces lettres, sir Hudson Lowe se rendit auprès de moi ; et, à l’égard de la première, il me nia tout d’abord qu’il m’eût tendu aucun piège par la voie de mon domestique. Il convenait néanmoins que j’avais pu m’y méprendre ; et comment en eût-il pu être autrement ? lui disais-je ; ce domestique avait été mandé plusieurs fois par l’autorité avant de m’avoir été retiré et après ; depuis, il était venu