Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/518

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« Toutefois, le voyageur qui vient de traverser les mers, dont l’œil fatigué de la monotonie des vagues est tout prêt à admirer le premier sol qu’il rencontre, s’il grimpe, par un beau jour, sur notre plateau, dans l’étonnement des affreux rochers qui pointent autour de lui, et des abîmes creusés à ses pieds ; à l’aspect riant de la verdure sauvage qui dessine les gorges environnantes, il s’écrie que c’est fort beau. C’est souvent un de nos supplices. Mais, Monseigneur, pour celui qui est condamné à cette habitude, c’est un vrai lieu de désolation. Il en est de même du climat, que ceux qui ne font que passer peuvent trouver doux et innocent. Sous le soleil dévorant du tropique, cette île est la plupart du temps couverte de nuages, et Longwood sujet à de fréquentes pluies ; d’où il suit que si le soleil paraît, on est brûlé, et que, quand il se cache, l’on demeure dans une affreuse et constante humidité. On a donc à souffrir presque tout à la fois du froid et du chaud, contraste destructeur qui produit des ravages effrayants sur la structure humaine. La saison, toujours la même, laisse l’année sans couleur ; c’est une monotonie qui affecte l’imagination, l’esprit et le corps ; il serait difficile de rendre la fadeur et l’ennui qu’elle engendre : c’est une peine de tous les jours, de tous les instants. C’est ce tourment physique qui, joint à toutes les peines morales dont on abreuve journellement l’Empereur, lui a fait dire en apprenant le sort funeste de Murat : « Les Calabrois se sont montrés moins barbares, plus généreux que les gens de Plymouth ! »

« En arrivant à Longwood, l’Empereur essaya de reprendre l’exercice du cheval : la prodigieuse activité de sa vie passée lui en rendait l’interruption dangereuse ; et vous savez peut-être, Monseigneur, que Corvisart le lui recommandait comme nécessaire contre une incommodité dont il est menacé. On nous avait assigné des limites assez rétrécies que nous pouvions parcourir sans aucune surveillance étrangère. On connaît les prodigieuses et rapides courses auxquelles l’Empereur était habitué. Ici, le peu d’espace, la monotonie de l’endroit, la course toujours la même, qui réduisait cet exercice à une espèce de manège, le dégoûtèrent bientôt ; il y renonça tout à fait ; nos sollicitations et nos prières n’ont jamais pu venir à bout de le lui faire reprendre. « Je ne saurais tourner ainsi sur moi-même, disait-il ; quand j’ai un cheval entre les jambes, l’envie me prend de courir, et je ne puis la satisfaire : c’est un tourment que je dois m’épargner. »

« L’île a vingt-cinq ou trente milles de tour ; l’Empereur eût pu la parcourir sous la surveillance d’un officier anglais : il n’a jamais pu s’y