Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/52

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tait l’Empereur ; mais je considérai bientôt que si je l’accueillais, il était de ma dignité de faire des efforts en sa faveur. Or je ne gouvernais plus le monde ; puis les esprits communs n’auraient pas manqué de voir dans mon intérêt pour lui une haine impuissante contre Bernadotte ; enfin Gustave avait été déchu par le vœu du peuple, et c’était le vœu du peuple qui m’avait élevé ; il y aurait eu inconséquence en moi, désharmonie de principes, à prendre sa cause. Bref, je craignais de compliquer encore les affaires, et fis taire la générosité. Je fis répondre que j’appréciais ce qu’il m’offrait, et que j’y étais sensible ; mais que la politique de la France ne me permettait pas de me livrer à mes sentiments particuliers, qu’elle m’imposait même la douleur de lui refuser pour le moment l’asile qu’il demandait. Que, du reste, il se tromperait fort s’il me supposait d’autres sentiments qu’une bienveillance extrême et des vœux sincères pour son bonheur, etc., etc.

Quelque temps après l’expulsion de Gustave, disait encore l’Empereur, et la succession au trône vacante, les Suédois, voulant m’être agréables et s’assurer la protection de la France, me demandèrent un roi. Il fut question un moment du vice-roi ; mais il eût fallu qu’il changeât de religion ; ce que je trouvais au-dessous de ma dignité et de celle de tous les miens. Puis je ne jugeais pas le résultat politique assez grand pour excuser un acte si contraire à nos mœurs. Toutefois j’attachai trop de prix peut-être à voir un Français occuper le trône de Suède. Dans ma position, ce fut un sentiment puéril. Le vrai roi de ma politique, celui des vrais intérêts de la France, c’était le roi de Danemark, parce que j’eusse alors gouverné la Suède par mon simple contact avec les provinces danoises. Bernadotte fut élu, et il le dut à ce que sa femme était sœur de celle de mon frère Joseph, régnant alors dans Madrid.

Bernadotte, affichant une grande dépendance, vint me demander mon agrément, protestant avec une inquiétude trop visible qu’il n’accepterait qu’autant que cela me serait agréable.

Moi, monarque élu du peuple, j’avais à répondre que je ne savais point m’opposer aux élections des autres peuples. C’est ce que je dis à Bernadotte, dont toute l’attitude trahissait l’anxiété que faisait naître l’attente de ma réponse, ajoutant qu’il n’avait qu’à profiter de la bienveillance dont il était l’objet, que je ne voulais avoir été pour rien dans son élection, mais qu’elle avait mon assentiment et mes vœux. Toutefois, le dirais-je, j’éprouvais un arrière-instinct qui me rendait la chose désagréable et pénible ; en effet, Bernadotte a été le serpent