Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/524

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moins d’inimitié. Il retiendra les ouvrages qui nous seront favorables, comme n’étant pas venus par le canal des ministres, et s’empresse de nous envoyer de sa bibliothèque des libelles contre nous.

« Mais c’est surtout à ce que sa propre et seule vérité parvienne en Europe que sir Hudson Lowe donne sa plus grande attention. Toutes ses inquiétudes et sa jalousie sont tournées à ce que rien de la nôtre ne puisse pas percer au-dehors. Il éloigne de nous les voyageurs ; il nous fait un crime de propager nos détails, de chercher à les faire connaître ; il m’a fait dire dernièrement que si je continuais à écrire à mes amis en Europe sur mon ton habituel, il m’ôterait d’auprès de l’Empereur, et me renverrait de Sainte-Hélène. J’écrivais la vérité, je ne pouvais écrire que nous étions heureux et bien traités. Sir Hudson Lowe se défierait-il de ses ministres, qui lisent mes lettres après lui ? car autrement ils peuvent, au besoin, les supprimer à leur gré, après s’en être éclairés, s’ils en ont le désir. Quoi qu’il en soit, je ne me le suis pas fait dire deux fois ; je n’écrirai plus à ma famille ; me voilà mort pour elle. Cette présente relation même, Monseigneur, vous était destinée par les propres mains du gouverneur : je suis réduit à attendre désormais une occasion clandestine. Vous y gagnerez ; car vraisemblablement mon écrit ne vous fût pas parvenu. Quant à cette occasion clandestine, elle se trouvera sans doute tôt ou tard ; quelque voyageur généreux, ami de la vérité, se chargera de ce papier étranger aux affaires politiques, mais important à l’honneur de son pays, et il croira n’avoir rempli que le devoir d’un honnête homme et d’un bon citoyen.

« Sir Hudson Lowe outre sans cesse tout ce qui nous regarde et tout ce qui nous concerne. On a voulu s’assurer de nos personnes, et il pense qu’il faut nous mettre au cachot. On a voulu nous isoler du monde politique ; il se croit tenu de nous enterrer tout vivants. On a pensé à surveiller notre correspondance contre toute trame ou complot ; il n’y voit que de nous faire oublier tout à fait et d’annihiler notre existence. Si telles sont ses instructions secrètes, les ministres s’éloignent de leur propre parole au parlement ; ils s’éloignent de l’opinion de leur pays, des vœux de tout ce qu’il y a de généreux en Europe, quelle que soit d’ailleurs la différence d’opinions. Ils chargent leur administration d’un odieux inutile ; la vérité sera connue, et l’on s’indignera, se demandant qu’ont à faire de pareils traitements avec la sûreté du prisonnier. D’un autre côté, si tout cela n’était qu’un excès de zèle dans sir Hudson Lowe, cet excès de zèle condamne son cœur, avilit son caractère, déshonore sa mémoire.