Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/563

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le port dès son débarquement. « Oh ! non, me dit Napoléon ; s’il n’a pas de grandes forces, il fera tuer la moitié de ses hommes par les canaglie des maisons et des batteries. D’ailleurs il n’est guère nécessaire d’envoyer contre eux des forces considérables, à moins qu’on ne soit décidé à détruire leur pays. » La conversation changea.

Un autre jour il me parla de nos taxes. « Je ne sais comment la poploazza anglaise les souffre. Malgré des succès presque incroyables, et auxquels un accident et peut-être la destinée ont contribué, je ne crois pas que vous soyez encore hors de danger : je ne pense pas que vous puissiez jamais payer vos dettes. Votre grand commerce vous a maintenus ; mais cet appui vous manquera lorsque vous ne pourrez plus vendre au-dessous du prix des autres nations qui, chaque jour, perfectionnent leurs moyens de fabrication. Vous reconnaîtrez la vérité de tout cela d’ici à quelques années. La chose la moins raisonnable que l’Angleterre ait faite, est d’avoir voulu devenir puissance militaire ; par cela même elle se place à jamais dans la dépendance de la Russie, de l’Allemagne, ou de la Prusse, ou du moins devient redevable à quelqu’une d’elles. Vous n’avez pas une population assez nombreuse pour lutter sur le continent avec la France, ou avec aucune des puissances que j’ai nommées, et il vous faudra par conséquent louer des hommes : tandis que, sur mer, vous avez toute supériorité ; vos marins sont tellement au-dessus des nôtres, que vous pouvez toujours commander aux autres. Vos soldats n’ont pas les qualités nécessaires à une nation militaire ; ils ne sont égaux à nos Français ni en adresse, ni aussi actifs ; ils ne conçoivent pas si vite non plus. Une fois qu’ils ne craignent plus la sangle, ils n’obéissent pas. On ne peut en venir à bout dans une retraite ; s’ils trouvent du vin, ce sont autant de diables, et adieu la subordination. J’ai été témoin de la retraite de Moore.

« Je n’ai jamais rien vu de pareil : il était impossible de réunir les régiments ; tous les soldats étaient ivres. Vos officiers gagnent trop leurs grades avec des écus, mais les soldats sont intrépides : là est le beau côté. — C’est une politique détestable que de rechercher la puissance militaire au lieu de s’attacher à la marine, votre force nationale. Pour avoir de bons soldats, il faudrait qu’une nation eût toujours la guerre à soutenir.

« Si vous aviez perdu la bataille de Waterloo, continua-t-il, dans quel état fût tombée l’Angleterre ! La fleur de votre jeunesse y eut été détruite ; car pas un homme, pas même Wellington, n’eût