Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/603

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donnèrent pas, même dans l’adversité. Il vous est facile d’en voir la cause. J’avais aboli le fouet et le bâton, que les Autrichiens avaient adoptés ; j’avançai ceux des soldats qui avaient des talents ; plusieurs généraux furent choisis parmi eux. Je substituai l’honneur et l’émula tion à la terreur et au fouet. »

Je demandai à Napoléon ce qu’il pensait du mérite comparatif des Russes, des Prussiens et des Allemands. « Je pense que les soldats changent quelquefois ; ils sont braves un jour, et lâches l’autre. J’ai vu les Russes faire des prodiges de valeur à Eylau ; c’étaient alors autant de héros : à la Moskowa, retranchés d’une manière inexpugnable, ils me laissèrent battre cent cinquante mille hommes avec quatre-vingt-dix mille. A Iéna, et dans d’autres batailles de cette campagne, les Prussiens s’enfuirent comme des moutons ; depuis ces derniers temps ils se sont battus bravement. Je crois qu’aujourd’hui le soldat prussien est supérieur au soldat autrichien. Les cuirassiers français sont la meilleure cavalerie du monde pour enfoncer l’infanterie. Individuellement, il n’est pas de cavalier supérieur, ni même comparable au mameluk ; mais ils ne peuvent agir en corps. Les Cosaques sont fort bons, comme partisans, pour harceler, et les Polonais comme lanciers. »

Je lui demandai aussi quel était celui qu’il préférait parmi les généraux autrichiens. « Le prince Charles, bien qu’il ait fait beaucoup de fautes. Quant à Schwartzemberg, il ne peut pas commander six mille hommes. »

Napoléon nous parla aujourd’hui du siége de Toulon, et ajouta que là, le général O’Hara était tombé en son pouvoir. « Je puis dire que je « l’ai fait prisonnier moi-même. J’avais établi une batterie masquée de huit pièces de vingt-quatre et de quatre mortiers, pour attaquer le fort Malbosquet, qui se trouvait occupé par les Anglais : cette batterie fut achevée dans la soirée, et j’étais dans l’intention d’attaquer le lendemain matin. Tandis que je donnais des ordres sur un autre point de l’armée, quelques députés de la Convention nationale arrivèrent. Dans ce temps-là, ils prenaient quelquefois sur eux de diriger les opérations militaires ; et ces imbéciles ordonnèrent à la batterie de commencer son feu : on obéit à cet ordre. Dès que je vis ce feu prématuré, je pensai que le général anglais attaquerait la batterie et l’enlèverait probablement, parce que toutes mes dispositions n’avaient pas encore été prises pour la soutenir. En effet, O’Hara, voyant que le feu de la batterie chasserait ses troupes de Malbosquet, et que je finirais par