Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/606

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« Pensez-vous, lui demandai-je, que sir Sidney ait montré beaucoup de talent et de courage à Acre. — Oui : la principale cause de la non réussite, c’est qu’il prit tout mon train d’artillerie à bord de plusieurs petits vaisseaux. Sans cela, j’aurais pris Acre malgré lui. Il se conduisit vaillamment, et fut bien secondé par Philippeaux, Français de talent, qui avait étudié avec moi comme ingénieur. Il y avait aussi un major Douglas qui se comporta bravement. L’acquisition de cinq ou six cents matelots, comme canonniers, devint un puissant secours pour les Turcs, dont le courage se releva, et à qui ceux-ci apprirent à défendre leur forteresse. Mais Sidney commit une grande faute en faisant des sorties où deux ou trois cents braves perdirent la vie sans aucune chance de succès. Il était impossible qu’il réussît contre le grand nombre de Français qui étaient devant Acre. Je parierais qu’il perdit la moitié de son équipage. Il répandit parmi mes troupes des proclamations qui ébranlèrent plusieurs corps ; je publiai en conséquence un ordre par lequel je le déclarais fou, et défendais toute communication avec lui. Quelques jours après, il m’envoya Un cartel, au moyen d’un parlementaire, lieutenant ou garde-marine. Je répondis que je me rendrais à l’invitation quand il amènerait Marlborough pour me battre. Malgré le passé, j’aime ce caractère chevaleresque. »

Comme je lui faisais observer, dans le même entretien, que l’invasion d’Espagne avait été pour lui une entreprise fatale, j’en reçus cette réponse : « Si le gouvernement que j’avais établi fût resté, c’eût été la meilleure chose qui eût jamais pu arrivera l’Espagne. J’aurais régénéré les Espagnols, j’en aurais fait une grande nation. Je leur aurais donné une nouvelle dynastie qui n’aurait eu de droit sur l’Espagne que par le bien qu’elle y aurait fait. Ils auraient eu un monarque capable de relever la nation courbée sous le joug de la superstition et de l’ignorance. Pent-être a-t-il mieux valu pour la France que ce plan n’ait pas réussi, car l’Espagne aurait été une rivale dangereuse. J’aurais détruit la superstition et aboli l’inquisition et les monastères de ces paresseux bestie di frati. J’aurais détruit l’influence dangereuse des prêtres. Les guérillas, qui se sont battus contre moi avec tant de bravoure, déplorent maintenant leurs succès. Dans les derniers temps que j’étais à Paris, je reçus des lettres de Mina et de plusieurs autres chefs de guérillas, qui me priaient de les aider à chasser les moines. »

Il s’est plaint de nouveau du gouverneur. Il a comparé sa conduite mystérieuse et défiante aux procédés francs et ouverts de sir Georges Cockburn. « Si je ne regardais pas le suicide comme un acte de pol-