Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/628

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même qu’il me surviendrait une crise plus opiniâtre qui me tuerait avant le jour. Mon mal me paraissait ressembler à une attaque d’apoplexie ; ma tête était pesante, j’avais des tournoiements, comme si elle avait contenu une trop grande quantité de sang. J’essayai inutilement de me tenir debout. C’était une chaleur insupportable que je sentais : je me fis mouiller le crâne avec de l’eau froide ; l’eau finit par me paraître chaude, et avoir l’odeur du soufre, quoiqu’elle fût froide. »

Dans ce moment, sa transpiration était facile, la tête le faisait moins souffrir. Il m’entretint de la mort, il désirait que son corps fût brûlé. « On calmera ainsi leurs craintes, je ne reviendrai point. »

18. — Napoléon a ressenti dans la nuit une attaque comme celle du 13 moins violente pourtant. * Ali (nom qu’il donnait à Saint-Denis), effrayé, me jeta de l’eau de Cologne au visage, pensant que c’était de l’eau pure. L’âcreté de cette liqueur me causa de vives douleurs en m’entrant dans les yeux, je revins à la vie. »

21. — M. Gorrequer nous a écrit que le gouverneur permettait à Archambaud d’aller voir le lendemain son frère. Celui-ci, Santini et Rousseau étaient revenus du cap sur la frégate l’Orontes[1].

22. — Archambaud a revu son frère, en présence d’un agent anglais, mais il n’a pu ni voir ni parler à ses deux autres camarades.

23. — Hudson Lowe est venu à Longwood ; je lui ai fait part de l’indisposition de Napoléon. Il m’a répondu. « Il est inquiétant de penser qu’une de ces nuits, une pareille attaque puisse le tuer. Cette fin est inévitable, lui répliquai-je, si Napoléon ne change pas de régime, il lui faut l’exercice de la vie active.

Alors le gouverneur m’a demandé comment on pourrait lui faire prendre de l’exercice. Il faudrait diminuer la gêne qu’imposent les restrictions. Le gouverneur parle toujours du danger qu’il y aurait à laisser plus de liberté à un tel personnage.

Je suis entré chez Napoléon, il m’a dit : Le gouverneur fait des propositions à Bertrand, mais elles sont obscures et louches ; je ne puis y saisir sa véritable pensée. Il dit que Las Cases n’est point emprisonné ; mais alors il peut voir des Français, des Anglais, sans la présence de ses geôliers ? — Non. — Mais qu’entend-il par être en prison ?

« Mon Dieu ! que j’ai été fou de me lancer dans les mains des Anglais ! J’avais de fausses idées sur leur caractère national ; ils m’apparaissaient avec une grandeur véritable. Un peu d’orgueil me conseillait

  1. Hudson Lowe s’y était refusé d’abord.