Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/638

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ce jeune fanatique. Je lui demandai ce qu’il me voulait : « Vous tuer. — Que vous ai-je fait pour vouloir attaquer ma vie ? — C’est vous qui avez ruiné, asservi ma patrie ; j’ai cru que Dieu m’appelait à être l’instrument de votre mort. » Il parla de Judith, d’Holopherne, et me parut guidé par le fanatisme de religion ; C’était le fils d’un ministre protestant d’Erfurth ; son père ignorait son projet. Je fis venir Corvisart et lui dis de tâter le pouls de cet insensé. Après l’avoir examiné et lui avoir adressé diverses questions, Corvisart me dit que ce jeune homme était calme et dans tout son sens. Je dus donner l’ordre de l’enfermer immédiatement dans un lieu sur, où on ne lui donna aucune nourriture durant vingt-quatre heures, et seulement de l’eau. Je voulais, en employant ce moyen, lui donner le temps de se calmer, de réfléchir ; qu’ensuite on l’examinât quand son estomac serait vide, et dans un moment où rien ne pourrait échauffer ou exalter son imagination. Les vingt-quatre heures écoulées, je l’envoyai chercher, et je lui dis : « Si je vous accordais votre pardon, feriez-vous d’autres tentatives contre ma vie ? » Il hésita pendant quelques instants et enfin il me dit, avec un regret visible, qu’il n’en ferait pas parce qu’il pensait que si son projet eût été agréable à Dieu, il l’eût mieux secondé dans sa première tentative. J’avais toute envie de lui pardonner, mais on me fit remarquer que l’extrême hésitation de sa réponse, au bout de vingt-quatre heures de jeûne, d’emprisonnement, était la preuve « qu’il conserverait des intentions contre moi ; je l’abandonnai aux tribunaux.

« Dans un autre temps, le roi de Saxe me prévint qu’un jeune homme allait partir de Stuttgard pour se rendre à Paris, dans le but déclaré de m’assassiner. Le roi m’adressait le signalement de l’individu. Il ne fut arrêté qu’à Paris dans la chapelle des Tuileries. Il a d’abord avoué qu’il avait eu l’intention de me tirer un coup de pistolet ; mais que, craignant de ne pas m’atteindre, il avait préféré se servir du poignard. On trouva cette arme sur lui. Je l’arrachai à la mort, et le fis enfermer ; il resta en prison jusqu’après ma chute, puis il fut mis en liberté. Il déclara quelque temps après que son dessein n’était plus de me tuer, parce que j’étais vaincu ; mais de tuer le roi de Prusse, pour avoir maltraité les Saxons et la Saxe. Après mon retour de l’île d’Elbe, lorsque j’allai faire l’ouverture des chambres, je revis ce même homme sur mon passage. C’était au commencement de la séance, dans la salle. On n’a pas su comment il s’y était introduit. Un accident l’y fit tomber, presque dans le même moment ; et un paquet,