Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/646

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y recueillerait, le grand nombre de Grecs des provinces soumises au sultan qui se joindraient à cette puissance déjà colossale, je refusai net d’y concourir. Une autre difficulté tranchait la question : Alexandre voulait garder Constantinople : ceci détruisait l’assiette de la balance politique de l’Europe.

« Il était visible que la France, avec l’Égypte, la Syrie et les Indes, ne serait rien en comparaison de ce que deviendrait la Russie. Les Russes n’étaient déjà que trop puissants ; ils pouvaient un jour envahir toute l’Europe. L’Autriche tremble en considérant ces résultats. En effet, si la Russie et la Prusse se joignaient contre l’Autriche, celle-ci serait écrasée sans que l’Angleterre pût s’y opposer ; la France n’est rien sous les Bourbons, et les Autrichiens sont si faibles qu’ils seront facilement battus. Una nazione a colpo di bastone. Ils opposeront peu de résistance aux Russes, qui sont braves et patients. La Russie est d’autant plus redoutable, qu’elle ne désarme jamais : un soldat reste soldat. Les Russes sont des barbares qui n’ont point de patrie, et pour qui tous les pays sont préférables à celui qui les a vus naître. Lorsque les Cosaques vinrent en France, ils ne choisissaient pas les femmes ; vieilles et jeunes leur convenaient, parce que toutes valaient mieux que celles de leur pays. Les Russes sont pauvres, et il est nécessaire pour eux de conquérir, de s’avancer. Un jour l’Europe verra combien ma campagne de Russie était prévoyante ; mais il ne sera plus temps, je ne serai plus. Ma politique sera vengée, malheureusement par une inondation de barbares. »

Hudson parle du renvoi du comte Montholon : l’Empereur prend à ce sujet beaucoup d’inquiétude : « La perte de Montholon me sera bien douloureuse, parce qu’indépendamment de son attachement pour moi, il m’est de la plus grande utilité : il prévient tous mes besoins. »

J’ai accompagné la comtesse Montholon à Plantation-House, pour rendre visite à lady Lowe.

Hudson Lowe m’a communiqué quelques numéros d’un pamphlet intitulé l’Ambigu, d’un vieil émigré nommé Pelletier, revenu avec Louis XVIII. J’hésitais, bien entendu, à les porter à l’Empereur, car il y est très-mal traité. Quand il sut que j’avais ces brochures, il répondit à mes objections : « Bah ! il n’y a que les enfants qui craignent d’être maltraités. Ah ! c’est du Pelletier. Il y a vingt ans que celui-là écrit contre moi. Je suis charmé de pouvoir lire ses nouvelles brochures. » Cette lecture a beaucoup intéressé l’Empereur, malgré les