Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/651

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement saxon. Ces provinces conservées intactes au roi de Prusse, il devait arriver qu’il se sentirait trop abaissé pour ne pas chercher à se venger à la première occasion. »

En lui lisant l’Observer, il m’a interrompu plusieurs fois pour lui expliquer exactement un article dans lequel on racontait que Marie-Louise était tombée de cheval dans le Pô, et qu’on avait eu grand’peine à la sauver. Cette nouvelle l’a vivement affecté.

Le général Gourgaud a reçu une lettre de sa sœur : elle lui écrit que sir Georges Cockburn lui a rendu visite à Paris ; elle lui apprend encore que madame Dillon, mère de la comtesse Bertrand, se porte mieux. La famille du général est dans la joie de ces nouvelles. Moi, qui suis errant, courant les mers depuis des années, je n’avais pas cette idée de l’ivresse que peut produire dans l’âme d’un exilé une lettre de parents ou d’amis éloignés. Il était facile de distinguer, à la joie des physionomies des habitants de Longwood, ceux qui avaient reçu des lettres du continent. Les traits des autres étaient affectés. Une ligne venue d’Europe est sans prix sur ce rocher de Longwood.

L’Empereur m’a reparlé de Wright. « Il y a bien certainement quelque chose de grand dans l’action de cet officier qui se tua pour ne pas compromettre son gouvernement. »

L’Empereur a vu dans quelques articles du Times et du Morning Chronicle, que ces deux journaux le défendent.

« Rappelez-vous que je vous ai dit que les Anglais changeraient d’opinion sur mon compte, qu’ils verraient en voyageant en France et en Italie que vos ministres m’ont lâchement calomnié ; je n’ai laissé que des institutions et des regrets. Mes actes y parlent haut. Eh bien ! ce changement arrive… Avant peu il sera complet, ils diront de retour au continent : Trouvons-nous une belle route, un pont élégamment construit, et demandons-nous quel souverain a fait cela ; on nous répond : Napoléon ! Il a donc encouragé les arts, les sciences, l’instruction publique, celle des classes les plus pauvres pendant sa puissance. » Il m’a reparlé de Talleyrand.

Voici quelques nouvelles explications sur ce personnage : « C’est un coquin, un homme vil, mais un homme d’un esprit éminent. Lorsque j’eus marié le prince Eugène, je dus le destituer par suite des plaintes que m’adressèrent les rois de Bavière et de Wurtemberg. Il leur était impossible de faire ni traité ni convention pour le commerce, sans l’voir acheté à un prix exorbitant de ce ministre. Ces sortes d’affaires dans ce temps-là étaient nombreuses. Louis XVIII a agi sagement en