Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/657

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« Mon armée était admirable. Je ne redoutais que quelques-uns de vos corps : c’étaient trente-cinq à quarante mille Anglais, braves comme mes soldats. La perte de la bataille vint d’abord de la paralysie soudaine de Grouchy ; et ensuite de ce que les grenadiers à cheval et la cavalerie commandée par le général Guyot, que j’avais en réserve, et qui ne devaient pas me quitter, s’engagèrent malgré moi, contre mes ordres, de sorte qu’après la dernière charge, lorsque mes troupes furent battues, et que la cavalerie anglaise se montra, je n’avais plus un seul corps de réserve. Il fallut céder… La charge des Anglais réussit. Ney m’avait enlevé ma cavalerie.

« Le plan de Wellington ne mérite aucune attention. Il ne s’était réservé qu’une route, qu’une issue étroite pour la retraite ! battu, je ne lui laissais pas sauver un soldat ! Et pourquoi partager son armée et s’isoler de Blucher ? ce dernier revenant sur moi, quoique battu la veille, a montré le talent, l’activité d’un vrai général. »

L’Empereur m’a reparlé des pamphlets ; il ne peut répondre. « Il faudrait écrire au bas de chaque page : faux ! faux ! Je n’y ai trouvé qu’un fait exact. c’est ce que je dis de Rapp sortant de la mêlée à Austerlitz. Lorsque je l’aperçus couvert de sang, les habits déchirés, courant à moi : « Oh ! comme il est beau ! » Ces paroles, ce mouvement sont vrais ! Mais, le croiriez-vous, les misérables me font un crime de cela. C’est la preuve, disent-ils, que je me délectais dans le sang. »

J’ai annoncé à l’Empereur notre ambassadeur en Chine, revenant de ce pays où il avait refusé de se soumettre à quelques formalités. Napoléon n’approuve pas ces scrupules de la nation anglaise dans ses rapports avec une nation si riche. « Peut-être les ministres, par cette bêtise, font-ils perdre au commerce de grands avantages. » Je lui fis observer que nous pourrions facilement, au moyen de quelques vaisseaux de guerre, forcer les Chinois à nous céder un traité favorable ; par exemple, nous pourrions intercepter l’importation du sel ; il ne faudrait pour cela que quelques croiseurs. A cela Napoléon m’a répondu : « Ce serait bien la plus grande sottise que vous eussiez faite depuis plusieurs années, que de vous mettre en guerre avec un empire immense, et qui possède les ressources de celui de la Chine ! Vous réussiriez d’abord, vous vous empareriez de quelques vaisseaux, et vous détruiriez leur commerce ; mais vous leur feriez apprécier à la longue leur puissance. Ils seraient forcés de se défendre. Ils réfléchiraient et diraient : Il nous faut égaler cette nation. Pourquoi souffririons-nous