Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/682

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vage. Celui qui voulait la briser plongerait un couteau dans le cœur de cet enfant, s’il était en son pouvoir. » Les regards de l’Empereur exprimaient les plus vifs sentiments de la paternité ; sa joie, la douce fierté de ses traits étaient attendrissantes.

Nous avons eu de nouveaux détails sur l’affaire du buste. Le gouverneur avait proposé de le jeter à la mer.

On a adressé au général Bertrand, pour Napoléon, un jeu d’échecs magnifique et son damier, deux corbeilles à ouvrage en ivoire d’un charmant travail, une boîte à jetons provenant des fabriques de la Chine. La lettre d’envoi disait qu’ils étaient offerts à l’illustre habitant de Longwood au nom de M. Elphinstone, comme un souvenir de sa profonde reconnaissance pour celui dont la bonté généreuse avait sauvé les jours de son frère.

La veille de la bataille de Waterloo, le capitaine Elphinstone, blessé, avait été fait prisonnier. Sa très-grave blessure obtint l’intérêt de Napoléon, qui ordonna à un chirurgien de le panser ; apprenant que la perte de son sang l’avait jeté dans une grande défaillance, il lui envoya un gobelet d’argent plein de vin de son office. Lors de l’arrivée du Bellérophon devant les côtes de la Grande-Bretagne, lord Keith était allé faire ses vifs remercîments à Napoléon ; le capitaine était son neveu.

J’ai vu l’Empereur dans son cabinet. La conversation a eu pour sujet le roi d’Espagne Ferdinand et le baron Kolli. « Kolli, dit-il, fut découvert par la police, parce que partout où il entrait pour manger il demandait qu’on lui servît le meilleur vin ; cela s’arrangeait mal avec la pauvreté de ses vêtements. Cette singularité frappa les agents mis sur ses traces ; on l’arrêta, et on trouva sur lui une lettre de*** qui engageait Ferdinand à fuir et lui assurait des secours. Un agent de police se mit à la place de Kolli et continua son voyage. On l’envoya avec les papiers de Kolli auprès de Ferdinand, qui, après les avoir lus, refusa de s’enfuir.

« A Bayonne, j’offris à ce prince de retourner en Espagne, en lui notifiant toutefois qu’après son arrivée je lui ferais la guerre. Ferdinand refusa de rentrer, à moins que ce ne fût sous ma protection. Je ne le surveillais pas. Il était libre à Bayonne, et pourtant que n’a-t-on pas dit ! Il avait auprès de lui autant d’amis et de nobles qu’il le désirait, je ne lui ai rien fait de ce que je supporte ici. Je voulais établir en Espagne une constitution libérale ; j’aurais détruit l’inquisition, anéanti la superstition, les droits féodaux et les priviléges. Cette constitution aurait appelé aux premières charges du royaume