Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/687

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les Autrichiens n’auraient point eu le temps de prendre parti contre moi.

« Les alliés à Paris, ma cause n’était point perdue. Je savais que je pouvais compter sur le peuple : j’y fusse revenu dans la nuit ; le peuple, poussé en avant, eût alors tout attaqué, tout massacré. Mais la trahison du duc de Raguse, qui commandait l’avant-garde, rendit ce plan « impossible. Je fus des lors compris, livré. »

Lui ayant demandé, dans le même entretien, quelle avait été la plus heureuse époque de sa vie, il me dit sans hésiter : « Les vingt jours de ma marche de Cannes à Paris en 1815. »

« En l814, dit-il ensuite, quand Castlereagh se trouvait à Châtillon, auprès des ambassadeurs des alliés, cette ville était investie, par suite des batailles que je venais de gagner. Ce ministre paraissait inquiet, il craignait de tomber dans mes mains, n’étant ni accrédité comme ambassadeur, ni revêtu d’un caractère diplomatique, relativement à moi. Il alla trouver Caulaincourt pour s’expliquer à ce sujet : il était agité, et reconnut que j’avais le droit de le traiter assez mal. Ce qui ajoutait à ses alarmes, c’est que sans un événement inespéré, il était difficile qu’il échappât à mes soldats.

« Caulaincourt m’instruisit de cela ; je lui fis dire sans délai que, le cas échéant, je regarderais Castlereagh comme ambassadeur. »

Napoléon a parlé de M. le comte de Narbonne, ambassadeur à Vienne, tué par un boulet devant Torgau. Il en a fait le portrait : « M. de Narbonne réunissait à l’esprit le plus brillant l’équité du caractère : il était très-habile. Tant qu’il fut à Vienne, la France ne fut pas dupe de Metternich : il pénétrait admirablement ce ministre et son cabinet. En envoyant, en 1812, à l’empereur de Russie cet homme distingué, je pense que j’aurais conservé la paix. Alexandre demandait Dantzick et une indemnité — pour le duc d’Oldenbourg. Après le début brillant de mes armées en Russie, Alexandre m’envoya un parlementaire pour dire que si je voulais évacuer l’empire et revenir sur le Niémen, il traiterait. Je n’ai pas cru alors à sa bonne foi. Si cette offre fût revenue, et que nous nous fussions rapprochés, la guerre n’avait pas lieu cette fois. »

23. — Le général Gourgaud m’a raconté quelques circonstances intéressantes de la bataille de Waterloo. Lorsque la dernière charge de la cavalerie française eut échoué, la cavalerie anglaise s’approcha et donna à cent pas de Napoléon. Il était là avec ses meilleurs généraux, Soult, Drouot, Bertrand ; Gourgaud y était aussi. Celui-ci, sur l’ordre de Na-