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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/689

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entrerait avec ses bottes et ses éperons ; ce projet fut abandonné.

25. — J’ai parlé de l’Espagne à l’Empereur, et je lui ai demandé s’il était vrai qu’en sa présence la reine eut dit à Ferdinand qu’il n’était pas le fils du roi. « Cela n’est point vrai, me dit Napoléon ; mais, dans un mouvement de colère, elle a dit qu’il ne ressemblait pas à un fils de roi. » Lui ayant rappelé qu’on avait dit qu’il avait voulu marier Ferdinand à une de ses nièces : « Ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais songé à lui pour une alliance dans ma famille. »

Il a parlé de ses campagnes : « A la bataille d’Essling, j’ai conservé le champ de bataille ; mais dans la nuit je l’ai évacué, on a pu croire un moment que je me regardais comme battu ; la victoire très-disputée de Lutzen a été très-décidément gagnée à Bautzen[1]. »

Robespierre a été jugé de nouveau par l’Empereur : « Il s’est opposé au jugement de la reine ; il n’était point athée, comme on l’a dit, et défendit, contre ses collègues, la croyance d’un Être suprême. Ce n’est pas lui qui conseilla le massacre des nobles et des prêtres pour affermir la liberté en France comme le pensaient les révolutionnaires énergiques. Robespierre avait demandé que Louis XVI fût mis hors la loi ; il pensait que le jugement était un très-inutile et très-ridicule simulacre de justice politique. C’était un fanatique, mais il était incorruptible, et incapable de voter ou de causer la mort de qui que ce fût par inimitié personnelle ou par désir de s’enrichir. Enthousiaste, il croyait agir selon la justice en se conduisant comme il l’a fait à l’égard des nobles. La mort le trouva pauvre. Sous ces rapports, ce réformateur était un honnête homme. Après sa mort ses condisciples les plus sanguinaires ont tout rejeté sur lui : ces autres fanatiques s’étaient honorés également par la plus scrupuleuse probité ; ils avaient cependant tous trempé leurs bras dans le sang des classes supérieures de la société.

« Pouvoir singulier du fanatisme, de la foi à des opinions, ces hommes implacables eussent refusé les victimes qu’ils marquaient à toutes les séductions humaines. Ils ont fait guillotiner plusieurs de leurs collègues pour crime de concussion, pillage. Talleyrand, Danton, n’ont pas fait comme cela dans les emplois. Talleyrand, homme d’esprit, est le plus corrompu et le plus vil des agioteurs, il vendait tout ; Fouché un peu moins. Ils étaient connus.

« Carnot avait une haute intégrité ; il a bien servi la révolution ; il a quitté la France sans posséder un sou. »

  1. A Lutzen Napoléon n’avait que deux régiments de cavalerie.