Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/699

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La conversation de Napoléon est revenue sur l’Inde et a pris un intérêt très-vif. Voici quelques-uns des développements dans lesquels il est entré. « On me dit que lord Moira demande de l’Inde un nouveau contingent de vingt mille hommes. Voilà un des effets de l’imbécillité de vos hommes d’État. Ce sont les Français qui vous inquiètent, si toutefois cette nouvelle est vraie. Pourquoi leur rendre un établissement au delà du Cap ? Je pars ici du point de vue anglais ; quelques aventuriers, mus par la haine nationale, y auront soulevé les Marattes contre la tutelle de l’Angleterre. Au lieu de rendre Pondichéry et Bourbon à la France, vous auriez dû imiter la conduite des Romains à l’égard de Carthage, et dire fermement : Vous n’irez pas au delà de telle latitude, non pour toujours, mais pour dix ans, ou, par exemple, jusqu’a ce que vos craintes sur l’Inde n’eussent pas été sérieuses. Après avoir remis Pondichéry, l’île Bourbon, vous serez obligés de laisser dix mille Anglais de plus dans l’Inde. Quand je gouvernais la France, je n’aurais pas donné un quatrino pour reprendre ces possessions, sinon pour vous chasser de l’Inde ; ce projet rendait l’île de France ou de Bourbon un point précieux pour moi.

« Tous les ans, je recevais aux Tuileries des nababs et des princes de l’Inde, principalement des Marattes, des ambassadeurs qui me suppliaient de venir les affranchir ; ils offraient de vous expulser de l’Inde avec seize mille de mes vieux soldats, avec des officiers et de l’artillerie. Ils devaient fournir une nombreuse cavalerie, et ne me demandaient en général que des officiers. La haine qu’ils vous portent est au comble ! Ces propositions me revenaient chaque année par différentes voies. Je recevais le plus habituellement ces nouvelles par l’île de France ; de petits mercantuzzi m’apportaient fréquemment des lettres : ils venaient par terre ou sur des bâtiments danois.

« Je pense bien que vous avez eu quelques vues commerciales en restituant Pondichéry : vous avez espéré, par exemple, importer vos marchandises de l’Inde par les contrebandiers français. Mais cet avantage n’est qu’un résultat minime auprès des inconvénients ; voyez près de l’Inde les effets de la rivalité et de l’activité des Français, corroborés par les dispositions qui remplissent l’âme des populations indiennes à votre égard. Ce n’est pas le voisinage d’une nation rivale qui était nécessaire à vos possessions de l’Inde. Vous avez excité chez les Français, par des restitutions partielles, l’envie de reprendre tout ce qu’ils ont possédé autrefois. Si aucune nation euro-